Daté du 5 juin, le courrier n’est pas resté longtemps confiné aux intéressés. On peut dire qu’il reprend quasiment chronologiquement les faits et méfaits qui émaillent l’histoire du port depuis que, ce 3 juillet 2013, le conseil départemental a choisi de confier la gestion du port de commerce de Longoni à Ida Nel. Au titre de la SNIE tout d’abord, puis de Mayotte Channel Gateway créée par la suite.
Ce courrier est même un glossaire des articles du JDM sur le sujet, que nous glisserons donc en lien. Le préfet Jean-François Colombet et le président Soibahadine Ramadani attaquent sur le mode de gestion : « Si rien ne s’oppose à ce que l’activité portuaire soit financièrement rentable, la recherche exclusive du profit n’est clairement pas compatible avec les valeurs du service public ». Il faut dire que, aussitôt après avoir remporté la gestion du port, Ida Nel avait choisi de modifier son activité en s’intéressant de très prés à la manutention (dockers). Bien que son activité de gestionnaire le lui interdisait. (Les deux codes APE APE-5224A et APE-5222Z sont incompatibles).
Pour arriver à ses fins, elle privait le manutentionnaire présent sur le port, la SMART, d’Autorisation d’Occupation Temporaire (AOT), l’empêchant de pouvoir exercer. Les salariés se voyant dépossédés de leur outil de travail, avaient bloqué l’accès au port en janvier 2016, délogés par les forces de l’ordre envoyées par le préfet Morsy.
“S’approprier l’intégralité de la manutention”… un rêve éveillé
Des déviances qui ont reçu les bénédictions répétées du tribunal administratif qui a constamment donné droit à la gestionnaire du port.
Non soutenues, les activités de la SMART ont périclité, induisant son placement en redressement judiciaire et sa reprise par une filiale de CMA CGM, CMA-T en novembre 2019. L’adversaire était cette fois de taille à résister si l’on en croit les réactions à un nouveau refus d’accord d’occupation d’une parcelle du port, « en dépit de l’engagement que vous avez pris et signé le 11 janvier 2020 en préfecture », souligne le courrier des représentant de l’Etat et du Département. « Il apparaît que votre décision ne relève pas tant de la défense de l’intérêt de la DSP qu’à vous approprier l’intégralité de la manutention et, de fait, d’organiser le monopole de l’aconage (manutention, ndlr) sur le port de Mayotte avec le concours de la société Manu-port », sa filiale.
Il est également demandé à Ida Nel des « clarifications », notamment sur « les tarifs et règles de facturation ». Et dénoncé une facturation « sur la base de tarifs illégaux », depuis de nombreuses années, qui « ne peut être toléré plus longtemps ». Le deux signataires « somment » Ida Nel « d’appliquer immédiatement et rétroactivement l’arrêté départemental en vigueur ». Ils rappellent que la Cour administrative d’appel de Paris a jugé les redevances d’usage des grues de quai « anormalement élevées et sans rapport avec les services rendus » . Et ce rétroactivement sur les 3 ans qui précédaient.
Mais personne pour imposer à l’époque que le jugement soit appliqué, « les services publics doivent mettre à exécution sans délai toute décision de justice les concernant », appuie le courrier.
L’Etat toujours propriétaire des infrastructures
Pour faire court sur un sujet très extensible, le préfet et le président du Département dénoncent le refus de la gestionnaire de présenter ses budgets prévisionnels et ses comptes depuis deux ans, « totalement inadmissible », s’agacent-ils en lui demandant de respecter ces obligation, à défaut, « nous tirerons sans délai les conclusions qui s’imposent », pouvant aller jusqu’à la suspension de la Délégation de Service Public. Menace qui avait déjà été proférée.
Il faut relier cette reprise en main à l’entrée récente de l’Etat au conseil portuaire, par un arrêté du premier ministre Edouard Philippe. C’est une des préconisations de la Chambre Régionale des Comptes, qui avait adressé en octobre 2017 un courrier à 3 ministres dont Elisabeth Borne (Cour des comptes 2017 à E.Borne), qui n’avait pas reçu de réponse rapide. Il évoquait l’acquisition des grues à « un coût supérieur à celui prévu », et appelait l’Etat, « toujours propriétaires des infrastructures portuaires » faute d’une passation dans les règles. L’Etat se découvrant donc juridiquement responsable, on comprend que les lignes aient bougé.
La CRC va même jusqu’à préconiser l’implantation d’un grand port maritime, comme dans les autres DOM.
Toute cette saga aurait pu être évitée si certains comme le président actuel du Syndicat des pilotes maritimes et l’Union Maritime de Mayotte, avaient été écoutés, qui demandaient que les 14 irrégularités relevées au tout début, en octobre 2013, dans un Rapport de la chambre-régionale-des-comptes saisie par le préfet Witkowski, soient prises en compte.
Anne Perzo-Lafond
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