Le sénateur Georges Patient a adressé il y a deux semaines un courrier d’alerte au premier ministre sur une perte brute des recettes des collectivités d’outre-mer provoquée par l’arrêt de l’activité économique. Avant lui, et dans nos colonnes, l’analyste Issihaka Abdillah avait déjà mis en garde le 31 mars contre ce risque. Pour le sénateur guyanais, « le risque d’une crise financière est démultiplié pour les collectivités des DOM, car leur panier de recettes est très fortement lié à l’activité économique (…) alors que la fiscalité économique est marginale chez leurs homologues de l’Hexagone. En ce qui concerne l’octroi de mer, certains experts évoquent l’hypothèse d’une perte de recettes avoisinant 200 millions d’euros en 2020 et aussi des pertes différées les années suivantes », rapporte la Gazette des communes. La sénatrice réunionnaise Nassimah Dindar déplorait ce week-end qu’il n’y ait pas eu d’écho de ce constat du côté du gouvernement.
L’octroi de mer est en effet la ressource principale des communes. Taxe sur les biens importés, elle représentait en 2018, 27% des recettes réelles de fonctionnement des communes, et 37% à Mayotte où elle était auparavant perçue par le conseil départemental. Un transfert vers les commune a été opéré de 2015 à 2019.
Si le trafic au port de Longoni s’est maintenu ces mois de mars et avril, en raison des commandes passées plusieurs semaines auparavant, le choc de la fermeture des commerces se fera sentir avec un décalage. Pour l’instant, les produits notamment manufacturés, qui n’ont pas pu être écoulés, sont stockés. Il n’y aura pas de nouvelles commandes avant quelques mois. Les recettes d’octroi de mer sur ces produits importés vont donc s’amenuiser dans les semaines à venir. Un autre phénomène va s’ajouter, le report de paiement d’octroi de mer autorisé par le gouvernement pour alléger la trésorerie des entreprises.
Mayotte, le département qui s’en sort le mieux
Mais pour le sénateur LREM de Guyane, tous les DOM ne seront pas impactés de la même manière. « Les plus exposés sont les Antilles, en raison d’un déclin global qui se caractérise par une hémorragie démographique de grande ampleur », alors que Mayotte et la Guyane seraient moins épargnés selon lui. Ce qu’il justifie par « un fort dynamisme démographique et économique » dans ces deux territoires, « une moindre dépendance vis à vis du tourisme », et pour avoir bénéficié d’un plan de rattrapage de l’Etat après les révoltes sociales de 2018.
On laissera le « fort dynamisme économique » au département français d’Amérique pour tenter de comprendre pourquoi Mayotte s’en sortirait mieux que les autres. Car c’est aussi ce que dit la Gazette des Communes de fin avril. Evaluant la chute des recettes d’octroi de mer à 20% pour 2020, elle publie un tableau où le département qui s’en sort le mieux est… Mayotte. Pourtant, nous sommes le DOM où les communes sont le plus dépendantes de cette recette pour leurs dépenses de fonctionnement, 34%. Logiquement, une diminution de 20% devrait les affecter.
Des recettes à point nommé
En réalité, le constat est faussé en raison de l’année de l’étude. Si la part de l’octroi de mer semble si importante en 2018 dans les recettes de nos communes, c’est que cette année là, elles ont subi la baisse de 60% des recettes de la taxe d’habitation, qui n’a été compensée que l’année suivante par l’Etat.
Et surtout, les communes de Mayotte connaissent à contrario de leurs sœurs ultramarines, une forte croissance de leurs recettes, nous avait expliqué l’AFD dans son Observatoire des commune 2019 : « Entre 2013 et 2018, elles ont progressé de 62% », contre +8% dans les autres DOM. Une forte progression expliquée par « les transferts financiers issus du processus de départementalisation ». Etant donné qu’elles étaient dans une phase de contrôle des dépenses de fonctionnement (plus ou moins réussi en fonction des communes !), leur épargne brute a été gonflée. Et comme elles sont peu endettées, l’épargne nette reste positive.
Néanmoins, les communes de Mayotte doivent anticiper cette baisse de 20% de recettes en moyenne, et alors que nous allons être en période postélectorale en milieu d’année propice aux recrutements lors de la formation des nouvelles équipes. « Les charges de personnel représentent environ deux tiers des dépenses de fonctionnement. Une perte de 20% de l’octroi de mer en fonctionnement représenterait ainsi l’équivalent de près de 9% ou 1 mois de charges de personnel des communes», met encore en garde Georges Patient
Anne Perzo-Lafond