Il n’y avait presque que des femmes samedi matin, au lancement de l’opération Octobre Rose à la mairie de Mamoudzou. Signe que cet enjeu de santé publique peine à toucher la gent masculine. “J’aurais aimé voir plus d’hommes ici car c’est un sujet tabou” déplorait Madi Moussa Velou, 7e vice-président du conseil départemental en charge du social devant un parterre de femmes vêtues de rose. Parmi elles, une poignée d’hommes seulement, surtout des proches de malades, des élus dont le premier adjoint au maire de Mamoudzou,, et des soignants.
De quoi renforcer la détermination de Nadijat Atoumani, présidente de l’association Amalca. “L’objectif de la conférence [de ce samedi NDLR] est de donner la parole aux malades et de faire parler de la maladie, car on n’en parle pas du tout à l’échelle du territoire. Il nous a semblé important de sensibiliser la population et les élus à la thématique du cancer du sein”. Une thématique cruciale à l’échelle du territoire, mais qui peine à faire parler d’elle.
“C’est un sujet vraiment tabou ici, partout en outre-mer ou en métropole les mairies sont en rose, même la Tour Eiffel est en rose, mais on fait le constat qu’à Mayotte on n’en parle pas du tout. Peut être que les élus ne savent pas que le cancer du sein prend de l’ampleur. L’année dernière sur 217 cas de cancer soignés au CHM, 74 personnes étaient atteintes de cancer du sein, c’est plus d’un quart c’est énorme” poursuit la co-organisatrice d’Octobre Rose à Mayotte.
Parmi ces malades, Nadou en est sure, elle ne serait pas là où elle en est sans l’édition 2020 d’Octobre Rose. La prévention lui a peut-être bien sauvé la vie.
“Ne restez pas à Mayotte, partez !”
“Je suis venue témoigner de mon parcours car j’ai découvert l’année dernière, à 34 ans, que j’avais un cancer du sein. Je me suis auto palpée, c’était en fin d’allaitement, et dans mon sein gauche une boule a persisté, je me suis dit que ça allait passer et en fait c’était une tumeur qui grossissait. Il m’a fallu un mois et demi ou deux mois pour aller voir un médecin, c’était en octobre et Nadjati faisait de la sensibilisation, ça m’a poussé à me lancer” relate la jeune femme, la voix empreinte d’émotion. Commençait alors pour elle et son époux, un parcours du combattant.
“J’ai un mari formidable qui m’a dit que ça serait bien de prendre rdv pour une mammographie. Le médecin a d’abord pensé que c’était un kyste qui s’enlèverait facilement, et m’a quand même prescrit la mammographie. Sur le compte rendu, le radiologue a écrit qu’il fallait faire une biopsie et là se sont posés les premiers problèmes : je ne savais pas vers qui me tourner pour faire cet examen-là. Je suis retourné voir le médecin, et il a dit dit : partez à La Réunion, ne restez pas là”.
La Réunion, c’est la destination logique de la plupart des malades mahorais confrontés au manque d’offre de soin du 101e département. Mais en 2020, la crise sanitaire a compliqué la prise en charge des autres pathologies, et rendu la prise en soin de patients comme Nadou encore plus difficile. Cette dernière s’est finalement orientée vers la métropole.
“Quand j’ai appelé le CHU, on m’a dit de faire un test PCR, de rester confiné une semaine et de refaire un test, ça posait le rdv au bout de deux semaines, ce n’était pas possible ! Ca augmentait le stress en moi. On repensait au médecin qui disait « partez » alors on a cherché un endroit en métropole pour faire la biopsie. On a appelé l’institut Bergonié de Bordeaux, les gens sont géniaux là bas. On a pris le premier vol et à l’échographie la radiologue a tout de suite vu que c’était bien un cancer, j’ai tout de suite été prise en charge, elle a su me parler pour me rassurer, elle m’a dit vous êtes dans de bonnes mains, on va vous sauver. On était partis pour une semaine, et on est restés 10 mois.”
“Les malades ont une double peine”
Pour la présidente Nadijat Atoumani, “les malades ont une double peine, en plus de la maladie ils doivent s’exiler car seule la chimiothérapie est faite à Mayotte, pour la radiothérapie ou la chirurgie il faut partir. Pour certains patients ça a un impact négatif sur le moral, alors qu’on sait que c’est une maladie qui nécessite d’avoir le moral au taquet pour la combattre. Quant à l’accompagnement psychologique, ici il n’existe pas du tout”.
Un an plus tard, Nadou, 36 ans à peine, va bien mieux. “Aujourd’hui il reste beaucoup d’émotion, j’ai besoin d’exprimer tout ça, de dire que ça arrive aussi aux jeunes, que ça peut arriver à tout le monde. Là où j’étais soignée il y avait des jeunes de 18 ans. Je suis là car c’est important de faire de la sensibilisation. Aujourd’hui je suis en rémission, je n’ai plus de traitement mais un suivi tous les 6 mois. Alors que si Nadjilat n’avait pas été là, il y aurait peut être eu des métastases. Il faut aussi dire que ce sont nos cellules qui mutent, grossissent, ce n’est pas une maladie contagieuse, ce n’est pas la Covid.”
Un message d’autant plus important que la maladie reste peu comprise ici à Mayotte, renforçant l’isolement des malades, et la crainte de leur entourage. Dhinouraine Mcolo, premier adjoint au maire de Mamoudzou, plaide lui aussi pour une libération de la parole et une prise en charge plus précoce.
“A travers ces actions, on peut libérer la parole, on ne peut plus vivre malade, reclus chez soi et mourir tranquillement, en plus le cancer est un des cancers qui se guérit le mieux si on le prend en amont. Il va falloir accentuer le dépistage, pas qu’à Mamoudzou mais dans les villages, dans les campagnes, auprès des Mahorais, pour dépister la maladie au stade précoce”. Un soutien de la commune auquel s’ajoute celui du Conseil départemental, qui assure que “le CD sera aux côtés des associations, financièrement et techniquement, vous pouvez compter sur nous”.
Les lignes sont donc en train de bouger dans la prise de conscience politique, mais aussi dans la prise en charge médical. D’ici 2022, le réseau Redeca pourra assurer le dépistage du cancer du sein. L’auto-palpation reste néanmoins le premier rempart, et la première alerte permettant une prise en charge précoce de ce cancer qui tue 12 000 personnes par an en France. Pour l’expliquer, Nadijat Atoumani a prêté sa voix à Clap Production pour un clip très imagé -et très explicite à la fois- à retrouver sur la page Facebook de l’association.
Y.D.
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