Conducteur d’un bus quasiment neuf, Youssoufi Saïd, veut bien témoigner de ce qu’il a vécu ce vendredi matin, mais il nous demande 5 minutes pour rassembler ses idées, « c’était très violent ». Assurant la ligne Longoni-Dembéni (CUFR) à bord du bus N°32, il démarre son service comme tous les jours à 5h, et c’est un quart d’heure après, lorsqu’il arrive à la hauteur de l’arrêt de bus du collège de Koungou, que des pierres commencent à voler : « Je vois le n°15 faire demi-tour car il a appris que des poubelles sont en travers de la route à Majikavo. Je le suis, nous sommes nombreux à faire demi-tour, ce qui crée un embouteillage. Là, des jeunes avec sacs sur le dos, manifestement des lycéens ou des étudiants, commencent à jeter des pierres et à vouloir entrer dans le bus après avoir cassé la porte. Ils n’y arrivent pas, mais les morceaux de vitre giclent sur les sièges, heureusement les élèves que je transportais se sont couchés dans l’allée centrale. Là, on était immobile, on a subi, on a subi, on a subi pendant au moins 30 secondes. C’était long. Ils sont partis quand ils ont vu les gendarmes arriver. » L’homme de 41 ans est ébranlé par la violence, « vous avez vu mon bus ? Les cailloux que j’ai reçus ? Ils sont prêts à tuer. »
Un déchainement de violence qu’il ne s’explique pas vraiment, « c’est peut-être un conflit entre Koungou et Majikavo ». Une hypothèse plausible quand on entend Anli Siaka Djoumoi, Délégué syndical chez Transdev (gestionnaire du marché) et secrétaire départemental de FO Transports : « Il y a une mésentente entre élèves selon leur zone géographique. Certains qui sont dans le bus refusent que le chauffeur s’arrête en ramasser d’autres, en le menaçant. »
« Des jeunes ont appuyé sur le bouton d’urgence »
C’est ce qui s’est passé la veille, nous rapporte Lanto Thomas, directrice de l’exploitant Matis, membre du nouveau groupement Narendre Mbeli (« Avançons ») : « Jeudi, un chauffeur a été agressé à Majikavo. Cherchant à s’introduire dans le bus pour s’en prendre à un élève qu’ils connaissaient, des jeunes ont appuyé sur le bouton d’urgence à l’extérieur du véhicule, pour l’arrêter. Cela stoppe le bus immédiatement, ils sont rentrés et sont venus chercher le gamin, tout en rackettant tout ce qu’ils pouvaient, en donnant des coups de poing aux passagers du bus. Le chauffeur a ensuite pu terminer sa desserte, mais les élèves présents s’en sont pris à lui, en lui reprochant de s’être arrêté, alors que ce n’est pas lui, le bus avait été mécaniquement stoppé. Ils lui ont pris son téléphone et ont cherché à arracher les clés. Il a du mérite, car, bien que choqué, il voulait reprendre le travail aujourd’hui. Nous l’avons arrêté un jour, en le changeant de ligne. » Elle déplore qu’à la suite de ces évènements, aucune décision n’ait été prise : « On s’attendait à trouver des renforts en forces de l’ordre ce vendredi matin sur le circuit, des patrouilles ou autre. Mais il n’y avait personne. »
Une violence inouïe déployée par des jeunes qui ont la chance d’être scolarisés ou inscrit au Centre universitaire. Et que n’hésitent pas à aggraver des individus venus des hauteurs de Koungou.
Les vidéos vont parler
Cette année, le plan de transport a été revu, sans tenir compte de ces guerres de village. Mais sait-on où elles s’arrêtent ? Si ce n’est pas les villages, ce sera les quartiers, les rues, etc. L’objectif n’est donc pas de s’adapter à la logique des violences, mais bien de les dépasser. Un planning de ramassage est établi, il n’est pas toujours respecté par les chauffeurs qui, soit subissent des pressions à l’intérieur du bus, soit ne veulent pas ramasser des éléments violents, comme l’explique Anli Siaka Djoumoi : « Il y a l’enjeu du découpage territorial, celui du nouvel allotissement, celui de l’évaluation de l’ensemble des élèves à ramasser… Il faut laisser le temps que tout cela se mette en place. C’est vrai que des bus ont du retard, mais les élèves doivent être patients, ce n’est pas en détruisant les bus qui les ramassent que cela va progresser. Je ne peux pas cautionner ces actes qui gaspillent l’argent public et qui mettent d’autres élèves en insécurité. Notre société est très fragile, tout le monde doit y mettre du sien. »
Au dépôt de Longoni, en vallée III, quatre bus sont alignés, les vitres explosées, des pierres jonchant l’habitacle : « L’un des bus n’a même pas 10 jours, il est neuf. Nous avons apposé des films anti-caillassage sur les vitres pour éviter au maximum des jets de bris de verre sur les élèves, mais c’est interdit de le faire sur les issues de secours. Elles sont explosées. » Deux élèves ont été blessés, l’une est traumatisée, et l’autre a reçu des bris de vitre.
Dans l’immédiat, et le temps d’arriver à expliquer cette violence et de la maitriser, les bandes video installées cette année dans les bus vont être exploitées, notamment sur l’agression de jeudi à Majikavo, mais aussi sur le bus de Youssoufi Saïd, puisque certains jeunes étaient sur la porte extérieure, possiblement dans l’angle de la caméra. Les chauffeurs vont déposer plainte.
Anne Perzo-Lafond
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