Bien que le variant Delta soit présent sur le territoire, nous semblons pour l’instant à peu prés épargnés avec un taux d’incidence de 25 pour 100.000 habitants, contre 875 en Martinique, ou 2.800 en Polynésie française. Que disent les indicateurs ?
Dominique Voynet : Il faut revenir sur notre historique. Nous avons eu une 1ère vague de bonne intensité en 2020 environ 7 semaines après la métropole. Puis une vaguelette en novembre, et une vague plus intense en février 2021, où notre taux d’incidence de 900 bâtait des records nationaux, et où nous avons enregistré de nombreux décès. Depuis, c’était le calme plat. Là, nous en sommes à la 4ème semaine de frémissement. Je précise que nous n’avons pas démantelé la cellule de contact tracing pour assister la région PACA et La Réunion où vivent de fortes communautés mahoraises et comoriennes. A ce stade, il y a deux façons de voir les choses, optimiste et pessimiste. La première se base sur le nombre important de personnes immunisées après la forte vague de février, et sur une population jeune, avec des formes peu graves de la maladie. Et contrairement aux Antilles où le taux d’incidence entre deux vagues avoisinait les 40, nous nous étions à 5. La seconde s’appuie sur notre taux d’incidence actuel, de 25 à 30 qui fut celui des Antilles il y a 5 semaines. Et nous pouvons avoir des semaines difficiles après la rentrée scolaire.
Je précise qu’il y a encore un mois, nous n’avions que du variant sud-africain, alors qu’actuellement, il y a quasiment que du Delta. Nous avons récemment eu deux clusters, un sur un mariage dans une ville de l’Ouest, et un dans un club sportif, l’entraineur, positif, n’ayant pas signalé sa fonction. Il faut rester sur ses gardes.
Pour orienter nos décisions, nous démarrons la semaine prochaine l’enquête de séroprévalence qui attendait les validations administratives. Nous allons prélever deux gouttes de sang chez 3.500 adultes et autant d’enfants, par un tirage au sort en plusieurs endroits de l’île, sur des populations différentes, avec des déplacements de nos agents identifiés ARS jusque dans les cases en tôle. Nous sommes le 1er département à mener une telle étude sur le niveau de protection de la population, qui intéresse le national, pour un coût d’un million d’euros.
Dans tous les cas, notre responsabilité, c’est de se préparer au pire. Nous misons sur la vaccination, reconnue comme protectrice de forme grave de Covid.
Où en sommes-nous alors que les populations ultramarines en général ont du mal à se laisser convaincre par la vaccination ?
Dominique Voynet : Nous avons considérablement accéléré. L’ARS était un peu seule avec ses 4 centres et un fixe à M’gombani. Grâce aux deux équipes mobiles qui se rendent dans les quartiers isolés, l’ouverture très positive du centre à Koungou, les pharmaciens et les Maisons de santé pluridisciplinaire qui s’y sont mis, le CHM et ses centres médicaux de référence, et la semaine prochaine, la vaccination en milieu scolaire, nous étendons nos capacités. Il reste un trou dans la raquette avec les PMI. Depuis la rentrée, nous avons commencé par deux lycées, car au moment de la décision, il fallait encore un adulte accompagnant pour les 12-15 ans. Désormais une autorisation parentale suffit, donc nous allons pouvoir monter en puissance.
Pour tout cela, il faut des moyens humains qui nous font défaut. Nous avons donc recours à la réserve sanitaire. Pour la petite histoire, et contrairement aux autres départements où l’hôpital remplit ce rôle, nous assumons la logistique de toute l’île, on fournit les seringues, les blouse, les frigos, les imprimantes, il y a des cartons partout ! Et cela sollicite beaucoup nos moyens humains.
Sur l’appétence à la vaccination, la situation a-t-elle évoluée ?
Dominique Voynet : Il y a eu beaucoup de rumeurs, et nous avons des candidats à la vaccination qui veulent pouvoir aller au restaurant ou au ciné. Mais nous avons actuellement un sursaut. Alors que la moyenne était de 7.000 vaccinations par semaine, là nous en sommes à 2.000 vaccins par jour, soit 13.000 la semaine dernière. Sans raison claire, peut-être anticipent-ils de possibles déplacements dans la région. J’en profite pour rappeler à ceux qui ont oublié leur 2ème injection, qu’ils peuvent venir à tout moment, on ne leur reprochera jamais. Et ils seront mieux protégés.
Les capacités hospitalières ont-elles été revues à la hausse en cas de nouvelle vague ?
Dominique Voynet : Tout d’abord, le plan blanc de l’hôpital est caduc, il colle à une situation de catastrophe sur quelques jours, mais pas sur la durée comme nous l’avons vécu. Nous l’avons donc remplacé par un nouveau plan qui accroit les moyens hospitaliers en bénéficiant des expériences des deux premières vagues. Nous avions alors beaucoup d’hospitalisations en réanimation, car les gens n’étaient pas vaccinés. Là, c’est différent, il y aura certainement moins de formes graves grâce au vaccin, donc moins de monde en réanimation, et davantage en médecine. Nous avons accru nos capacités en oxygène, notamment en dotant le Service de Soins et de Réanimation de Petite Terre d’un isotank de 17.000 litres, et nous pourrons cette fois compter sur ses 55 lits. D’autre part, l’équipe en réa, en médecine et aux urgences est la même, donc opérationnelle. L’objectif est de retarder la vague le plus possible, pour bénéficier d’un appui de la métropole ou de La Réunion qui seront en meilleure posture.
Alors qu’une double visite ministérielle s’annonce pour ce week-end, où en est le projet de 2ème hôpital annoncé par Emmanuel Macron ?
Dominique Voynet : Il a peu avancé en 2020 et 2021 en raison des vagues de Covid et d’un problème de gouvernance de l’hôpital. Un consultant a été sollicité sur ce projet, au mandat prolongé par le directeur adjoint du CHM Christophe Blanchard qui assure l’interim. Il doit déterminer la répartition des services dans ce 2ème établissement, ceux dont on doit accroitre la capacité, les travaux réalisables, etc. Ce jeudi, notre expert de l’ARS doit figer les décisions sur les deux sites les plus adaptés, et lundi, se tient le Comité régional de l’investissement en santé, instance de concertation avec les directeurs d’établissement et les élus, avant de remonter au ministère. Donc, à la fin de la semaine prochaine, nous aurons une idée du site, de la programmation et du volume du nouvel établissement qui devrait accueillir 380 à 400 lits, donc au moins autant que l’actuel, pour un investissement de 300 à 350 millions d’euros.
Vous avez souhaité aborder un dernier sujet…
Dominique Voynet : Oui, celui de mon départ de l’ARS Mayotte ! J’ai toujours dit que je partirai à 63 ans, je les aurai dans quelques semaines. J’ai prévenu mes agents ce mercredi matin de mon départ dans quelques jours, c’est Stéphanie Fréchet qui assurera l’interim. Avant, j’aurai deux moments forts, la présentation du plan ORSAN (Organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles), et le 2 septembre, je remets l’ordre national du mérite aux agents qui se sont illustrés lors de la crise Covid.
Quel bilan tirez vous de votre passage ? L’ARS a connu quelques tensions…
Dominique Voynet : J’ai adoré ce que j’ai fait ici, je me suis senti utile à 90% des cas, notamment en mettant ma notoriété à profit pour obtenir des choses à Paris, l’héli-SMUR ou l’avion sanitaire en font partie, jamais pour me mettre en avant sur le territoire. Je pense que Mayotte n’a pas souffert de ma présence. Malgré le Covid, nous avons rattrapé le retard, en mettant en place le Plan Santé environnement, le Plan nutrition santé, le Plan territorial de santé mental, etc. Mais le fossé se creuse à l’ARS entre ceux qui ont compris qu’il fallait accroitre leur niveau d’implication et de qualité au travail, comme les agents de la Lutte Anti-vectorielle, et ceux qui ne pensent qu’à accrocher des médailles sur leurs poitrines. Mon franc-parler a aussi pu bousculer les esprits.
Surtout, je veux mettre l’accent sur la vitalité de la société civile. Lors du 1er confinement, alors que certains n’avaient ni eau, ni de quoi se nourrir, ni de masque, nous avons pu compter sur les associations, les grosses, mais aussi les petites, de quartier. C’est une ébauche de la santé communautaire sur laquelle travaille le service prévention dirigé par Nassim Guy.
J’ai toujours considéré que travailler sur l’autonomie de cette ARS à Mayotte, ce serait ma dernière aventure professionnelle. Mais il n’est pas exclu que je revienne pour des missions…
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
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