En mai 2018, on ne savait pas encore que ce qui ébranlait plusieurs fois par jour Mayotte, c’était de la lave qui cherchait son chemin depuis la chambre magmatique à plusieurs dizaine de kilomètres sous Petite Terre, pour sortir sous la mer, à 50km à l’Est de nos côtes, à 3.000 mètres de fond, et donner naissance à un volcan sous-marin qui allait passionner les scientifiques du monde entier. « C’est le 4ème volcan actif de France. Assister à une telle naissance géologique presque en direct et observer l’évolution d’un jeune volcan sous-marin, si profond mais si proche de zones habitées, est unique au monde », rapporte le communiqué d’IFREMER (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) diffusé ce mercredi.
Pour améliorer les connaissances scientifiques, la mission de recherche Geoflamme coordonnée par l’Ifremer et l’Institut Physique du Gobe de Paris (IPGP) a eu lieu pendant plus de 40 jours du 17 avril au 25 mai 2021, à bord du navire océanographique « Pourquoi Pas ? », avec le concours de 70 scientifiques.
Des scientifiques impatients de diffuser les images au grand public. N’attendez pas pour autant de photo en plan élargi de l’ensemble de l’édifice, c’est quasiment impossible, nous explique Emmanuel Rinnert, chef de mission et chercheur à l’unité Géosciences marines de l’Ifremer, que nous avons contacté au téléphone : « La prise d’image du volcan n’est possible que d’assez prés, pour deux raisons. A cette profondeur, il fait nuit noire et les systèmes d’éclairage ne pénètrent que sur quelques mètres, et ensuite, l’eau est trouble en raison de particules en suspension, certains naturellement présentes, d’autres agitée par le phénomène volcanique ».
Une expérience unique
En quelques mois, ce sont 6km2 de lave qui ont été émis, « c’est l’équivalent d’une couche de plusieurs dizaines de mètres qui recouvrirait la ville de Paris, souligne Emmanuel Rinnert. Jamais un volcan sous-marin n’a été étudié aussi jeune et à ces profondeurs. C’est un objet exceptionnel et les données que nous avons récoltées sur le terrain vont nous permettre de mieux le comprendre. »
Les images sont encore plus saisissantes sur la courte vidéo tournée par le ROV et montée par l’équipe de scientifiques.
A la différence des 19 missions May’obs du REVOSIMA (Réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte), les scientifiques se sont approchés du volcan, grâce à une panoplie d’outils déployée par la Flotte océanographique française opérée par l’Ifremer, l’une des 5 plus grandes au monde : robot autonome pour la cartographie et les prélèvements sur le fond, drague ou carottier, rosette pour les échantillons d’eau.
Pour la première fois, le fond a été ausculté grâce au submersible Victor 6000 capable de plonger à 6000 m de profondeur. Un robot de la taille d’une voiture citadine, piloté depuis la surface et relié au bateau par un câble. Il a mené 17 plongées d’une durée de
24 à 36 heures, et pour quels résultats !
Bien que quasiment au fond, la plongée du submersible Victor 6000 se faisait en eau trouble, jusqu’à ce qu’une éclaircie ne dévoile les premières images : « Au bout de 6 h, on est sorti de ce nuage et on a pu voir le volcan. Là, on a retenu notre souffle, devant ces images exceptionnelles : pour la première fois, on le voyait de près, comme si on y était. On distingue très bien les laves en forme de tubes, typiques des éruptions sous-marines, avec des coulées qui s’enchevêtrent. La couleur ocre est sans doute due à des particules de fer oxydé, comme de la rouille. On observe aussi des zones où la lave est très noire, brillante, ce qui montre qu’elle est particulièrement « fraiche ». Le volcan s’est mis en place il y a trois ans, ce qui représente une micro seconde à l’échelle des temps géologiques. »
Prés de trois fois la tour Eiffel
Geoflamme permet de mettre en évidence des émissions de fluides de natures différentes : d’une part, de l’eau de mer réchauffée par les coulées de lave présentes depuis fin 2020 et, d’autre part, des sorties riches en dioxyde de carbone (CO2) et en méthane (CH4). Autour de certaines de ces zones d’émission récente de fluides, des traces de vie sont déjà visibles, des biofilms de micro-organismes mais également de la macrofaune telle que des crevettes.
L’édifice est impressionnant rapporte le scientifique, « Avec ses 820m de haut, il fait prés de 3 fois la tour Eiffel ! » La base du volcan mesure 5 km de large, elle est située à 3.400m de profondeur. En mai 2019 le panache des éruptions s’élevait dans la colonne d’eau sur 2.800 m, donc trois fois plus haut que le volcan, « avec beaucoup de gaz et de particules, il formait un brouillard épais ». Les éruptions ont ensuite changé de nature, avec des laves assez fluides qui ont provoqué l’étalement de la base du volcan.
Il n’y a plus trop d’activité apparente, rapporte Emmanuel Rinnert : « Nous n’avons pas vu de coulées en cours de formation pendant notre campagne, on a globalement un sentiment d’accalmie de l’activité volcanique actuellement. D’ailleurs, les séismes à terre et l’affaissement de l’île sont quasiment arrêtés pour le moment. »
D’autres photos vont suivre, notamment d’agglomérats de gaz et d’eau combinés sous forme solide. S’il n’y aura pas de photo de l’ensemble de l’édifice, une reconstitution devrait être possible, selon le scientifique, « les données récupérées du sondeur devraient nous permettre de dresser une carte de la morphologie du volcan ».
Geoflamme et son Victor nous réservent encore des surprises donc !
Anne Perzo-Lafond
* La campagne Geoflamme a été coordonnée par l’Ifremer et l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), avec les contributions à terre et en mer des instituts et laboratoires suivants : CNRS, BRGM, ISTO, LMV, GEOPS, CEA – LSCE, GET et Université de Paris Saclay. Elle est financée par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation
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