Nous avions longuement évoqué la loi cadre annoncée par le ministre des Outre-mer aux élus de Mayotte lors des 10 ans de la départementalisation, ainsi que les contributions des maires de Mayotte qui ont jusqu’au 1er juin pour rendre une copie déjà dense nous avait expliqué Mohamed Moindjié, DGS de l’Association des Maires de Mayotte (AMM). Si la plupart des élus en ont compris l’enjeu, la loi est encore vue par l’opinion publique comme un document de plus.
Il n’en est rien nous explique Thani Mohamed Soilihi : « Elle sera là pour encadrer les prochaines décennies, on pourrait la comparer à la loi qui faisait suite à la départementalisation. Personne d’entre nos élus n’avait alors l’expérience de ce qu’était un département, n’avait siégé dans une collectivité appartenant à un département. Dix ans après, ce n’est plus le cas, nous avons des repères. Cette loi a donc un double objectif, finaliser la départementalisation et asseoir Mayotte dans son statut régional ».
Si le ministre a annoncé quatre volets, l’égalité des droits sociaux, le renforcement des actions régaliennes contre l’insécurité, l’accélération du développement de Mayotte et le renforcement des compétences du conseil départemental, la liste n’est pas exhaustive indique le sénateur, « c’est à nous, élus, de compléter ou non ces axes, notamment en fonction de l’ensemble des productions ». De son côté, il n’a eu qu’à ouvrir un tiroir pour ressortir les deux propositions de loi travaillées la demande du président Soibahadine, intitulées « Département-Région », notamment sur les compétences à répartir, « on peut amender, c’est une base de travail ». Une opportunité de pouvoir corriger cette injustice qui fait que le conseil départemental finance des actions au titre de la Région sans recevoir de compensation de l’Etat. « Cette loi permettra de programmer un bilan des transferts de compétences et de charges. On peut se féliciter qu’enfin il y ait une loi cadre, au sein de laquelle il ne faudra plus laisser de flou et qui pourra préciser des échéances fermes. »
« Ce qui a été déconstruit en 15 ans… »
Un cheminement indépendant de la réélection ou non d’Emmanuel Macron, « le proposition de loi sera transmise au conseil des ministres et ensuite, elle suivra son cheminement au Parlement. Je rappelle que le Sénat est une assemblée perpétuelle. »
Son président Gérard Larcher a d’ailleurs saisi la commission des lois, compétente pour les outre-mer, qui a annoncé l’envoi d’une mission d’information sur la délinquance et le lien avec la question migratoire. Une bonne chose pour le sénateur, « cette mission peut proposer des solutions et des préconisations sur beaucoup de domaines impliquant la délinquance notamment juvénile ».
L’autre volet que nous voulions aborder avec le parlementaire, c’est celui des violences entre jeunes qui ont pris une ampleur supplémentaire et dramatique ces dernières semaines. Tout a à peu prés été dit sur le sujet, beaucoup d’acteurs évoquent des solutions à l’échelle de la famille et du village, comme le porte-parole de l’observatoire des violences. Thani Mohamed évoque un double étage de décisions. « D’abord des mesures à prendre en urgence au niveau des enquêtes pour répondre en temps réel à cette violence, au niveau de la Protection judiciaire de la Jeunesse, mais aussi sur un travail de longue haleine pour restaurer l’encadrement, l’autorité parentale disparue il y a 15 ans en même temps que les cadis. Gamins, en cas de désobéissance, on nous menaçait de nous amener devant le cadi. Et en même temps, des parents ont été amenés au tribunal pour des punitions corporelles, ça a débouché sur un affaiblissement de l’autorité parentale. Enfin, des gamins d’origine étrangère se sont retrouvés sans autorité parentale, sans référent », constate celui qui est aussi avocat. « Mais ce qui a été déconstruit en 15 ans, on ne va pas pouvoir le restaurer en un jour. On ne peut pas retourner en arrière, il faut trouver de nouveaux modes pour occuper cette jeunesse et rapprocher les parents du milieu scolaire comme le fait le recteur ».
Le Centre Educatif Fermé adapté à la population
Les collectivités ont un rôle essentiel, dit-il, « elles doivent aider les parents, au travers de leurs Centre Communaux d’Action Social (CCAS) ou des familles d’accueil. » L’arrêté du maire de Mamoudzou en fait partie : « L’intention est la bonne. Voilà une génération de maires qui ne font pas tout porter à l’Etat mais qui se sentent concernés. Il faut encore qu’il travaille la forme, il ne faut pas se décourager. »
Parmi les mesures de court terme, le Centre Educatif Fermé (CEF) avait été réclamé par le procureur Garrigue, sans aucun effet. Depuis, Mayotte a été dotée d’un Centre Educatif Renforcé. On sait que le coût d’un CEF rapportée à la taille de la population n’est pas favorable à son implantation, mais ce calcul ne prend pas en compte la proportion élevée de jeunes, plus de la moitié sont mineurs. « Toutes les données ici militent en faveur d’un CEF, et si nous ne le mettons pas en place, cela coutera plus cher in fine. »
Il évoque le rôle difficile des élus de Mayotte : « Contrairement à nos collègues de métropole, nous n’avons pas à gérer le présent et l’avenir, mais aussi le passé en raison des nombreuses arrivées de kwassas. Il faut commencer par arrêter l’hémorragie, et ensuite, soigner. Or, tout n’est pas mis en œuvre. Avant le départ de Julien Kerdoncuf, il était question de mettre en place une base nautique à Mtsamboro et dans le sud. Il faut le faire. »
Les élus ont jusqu’au 1er juin pour rendre leurs contributions et s’approprier la loi.
Anne Perzo-Lafond
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