« Nous avons un conflit qui menace au Mozambique. L’Etat islamique a inscrit ce pays sur sa liste des territoires où mener le djihad, à Cabo Delgado. L’exploitation du gaz va mettre ce pays sous les feux des projecteurs », avait écrit dans nos colonnes en janvier 2020 le chroniqueur Issihaka Abdillah. Sa déclaration s’appuyait sur un conflit qui avait déjà éclaté, mais qui semblait sévir à la marge du projet gazier.
Rappelons qu’au début des année 2010, une immense réserve sous-marine de gaz est découverte à 2.000m de profondeur, à 60km au large des côtes nord de Cabo Delgado au Mozambique, estimée à 5000 milliards de m3, susceptibles de faire de ce pays le 4ème exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL). En lice pour les exploiter, les géants Total, ENI et Exxon, qui prévoient d’installer plusieurs dizaines de forages en dérivation, depuis les côtes de Palma, au Nord-Est de l’île. Des gazoducs sous-marins seront installés notamment par la société Technip FMC, qui avait dépêché des émissaires à Mayotte en décembre 2020. Nous avions expliqué comment le 101ème département comptait se positionner pour devenir une base arrière des sociétés exploitantes.
Mais depuis 3 ans, des groupes armés sévissent dans la région, semant ça et là la terreur. En avril 2020, un massacre de 52 jeunes est perpétré dans un village de la province de Cabo Delgado, au motif qu’ils n’avaient pas voulu rejoindre les rangs des rebelles. Appelés « Al-Shabab » par les habitants de la province sans toutefois qu’un lien soit établi avec les Al-Shabab somaliens, ils se disent rattachés à l’Etat islamique, lequel revendique certaines de leurs attaques sur son site de propagande, « mais le lien n’est pas probant », nous explique sous couvert d’anonymat un expert de ce conflit au niveau national, que nous avions contacté pour l’article précédent. Il préfère parler d’un « conflit avant tout motivé par des motifs très locaux, notamment ethniques, et qui revêt par ailleurs indéniablement une dimension islamiste ». Un conflit duquel, selon ses propos, aurait germé « un monstre incontrôlable », dont la « teinte islamiste a déjà attiré l’attention du djihadisme régional et risque désormais d’attirer celle du djihadisme international ».
Du gaz en milieu instable
Une guérilla qui oppose le Frelimo (Front de libération du Mozambique) au pouvoir, d’obédience marxiste, et la Renamo (Résistance nationale mozambicaine), soutenue par le régime d’apartheid sud-africain, et notamment les Etats-Unis. Il aurait fait 500.000 morts en seize ans.
La rébellion djihadiste a pris naissance dans la province de Cabo Delgado (Nord-Est), sans que l’on connaisse ses motivations exactes. Les habitants du Nord du pays se plaignent que leurs ressources approvisionnent ceux du Sud, favorables au gouvernement et au Frelimo. C’est dans cette même région que les gisements d’hydrocarbures ont été découverts en 2010.
« Depuis 3 ans, les violences empirent, note notre interlocuteur, et les forces de sécurité ne parviennent pas à rétablir le contrôle sur ce territoire. » C’est notamment vrai lors de l’attaque de mercredi dernier, menée par ces groupes armés contre Palma (Nord-Est du pays), « les 800 militaires de la garnison de Palma n’ont pas opposé de résistance déterminante. Cette nouvelle attaque s’est produite au moment même où Total annonçait la remobilisation sur le projet gazier après 3 mois d’arrêt, à la suite d’une attaque menée fin décembre, à proximité de la concession ».
Suite à cette dernière attaque de décembre, la compagnie pétrolière française avait négocié avec le gouvernement la sécurisation de sa concession, « sur une zone tampon de 25 km qui devait être contrôlée par l’armée mozambicaine»
Mercredi dernier, environ 190 expatriés se sont retrouvés pris au piège dans l’hôtel Amarula, à Palma encerclés par les insurgés islamistes. Mais lors de leur évacuation, leur convoi a été attaqué et plusieurs d’entre eux ont été tués. Il n’y aurait pas de français parmi les victimes. S’il n’est pas question pour la Légion étrangères de Mayotte (DLEM) d’intervenir en l’absence d’un accord entre les deux Etats, les militaires que nous avons contactés nous expliquent être « en vigilance », pour « appuyer éventuellement » le repli des 50 derniers ressortissants français.
Environ 700.000 réfugiés ont quitté la région baignée par la guérilla, pour trouver refuge à Pemba, plus au Sud.
La sécurisation reprise en main par l’armée
On le voit, l’exploitation du gaz du Mozambique reste très liée à la maitrise du conflit et à la capacité du gouvernement du président Filipe Nyusi, leader du Frelimo, à l’élection controversée par les Etats-Unis et l’Europe, à maintenir l’ordre. Une étude de l’Institut français des relations internationales (consulter le Compte rendu IFRI-Mozambique_en_crises_Afrique_australe-CR-seminaire-) s’interroge aussi sur le financement du Frelimo par la « manne financière générée par le rachat par Total des parts de la société Anadarko Petroleum dans le projet Mozambique LNG ».
Outre les problématiques de politique intérieure, qui supposent de vraies décisions de la part du président mozambicain, la fragilité de l’armée dans ce pays particulièrement pauvre, est sous les feux des projecteurs. « On assiste depuis quelques mois à une reprise en main de la contre-insurrection par l’armée, alors que c’était la police, plus puissante, qui en avait le leadership jusqu’à récemment. L’armée est en train d’être restructurée pour mener ce combat et bénéficiera de l’appui de société de sécurité privée et de programmes de formation de pays occidentaux, Etats-Unis en tête », témoigne encore notre expert.
Face à cette nouvelle flambée de violences, Total a annoncé samedi la suspension de son projet et, si elle ne déplore pas de victimes parmi le personnel employé sur le site, le nombre de personnels va « être réduit au minimum », annonce-t-elle dans un communiqué.
La question de l’abandon du projet est sur toutes les lèvres. « Si c’est la première fois qu’une attaque de cette ampleur est perpétrée à proximité de la concession, il n’en reste pas moins que les enjeux financiers sont énormes. Mais les évènements viennent juste de se produire, et Total va évaluer ses options avant de prendre une décision. Une suspension du projet pour plusieurs mois apparait en tous cas inévitable », conclut notre interlocuteur, qui déplore, comme l’avait fait avant lui l’ambassadeur de France au Mozambique, une insuffisante collaboration sanitaire entre ce pays dont nous lorgnons les richesses énergétiques, et le 101ème département français.
Anne Perzo-Lafond
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