Délaissée avant la départementalisation, Mayotte n’a pas été plus gâtée depuis. Nous l’avons constamment écrit, le tout jeune département de 2011 a été offert à l’Europe avec un emballage artificiel de RUP (Région Ultrapériphérique de l’Europe) en 2013, prié de consommer des fonds européens pour lesquels il n’était pas préparé. Un fort investissement de l’Etat au préalable aurait été la condition nécessaire et suffisante pour structurer le territoire en routes, assainissement, compétences, etc. Mais cela n’a pas été le cas, et la Cour des Comptes s’en est fait écho jugeant la départementalisation « mal préparée et mal pilotée ». Constatant que ses finances n’étaient pas au bon fixe, le très jeune président du très jeune département, Daniel Zaïdani, estime alors préférable de laisser cette compétence qui lui revient de droit, à l’Etat, qui saura jongler avec les millions européens.
La douche fut froide. Les errements se sont succédé du côté de la préfecture, avec une rétention à la fois d’informations, de compétences- avec un turn-over impressionnant des sous-préfets qui en avaient la charge – et de crédits qu’on basculait d’une ligne à l’autre, les lits d’arrêt de la piste d’aéroport en ont fait les frais. Dans un rapport de 36 pages censé rester confidentiel, la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC) sollicitée par le préfet Dominique Sorain, dénonce en 2019 les manquements de la préfecture : ressources humaines, compétences, querelles internes, services déconcentrés immatures, etc. Depuis, des efforts ont été entrepris pour rattraper le niveau exigé, mais tardivement.
C’est donc sur une note discordante que l’année 2020 sonnait le glas de la première enveloppe allouée à Mayotte. Pour la prochaine, 2021-2027, l’exécutif actuel a dans un premier temps décliné le droit d’exercer la gestion des fonds, pour finir par revenir en arrière, en rédigeant un courrier avec l’ensemble des élus. Car le transfert de compétences n’est pas automatique, et la loi MAPTAM* encadre les délais
Pas de Gip, gip, gip, hourra ! dans l’opposition
La question demeure : où se nichent les compétences et la volonté politique pour mener à bien les dépenses de ces fonds ? Parce que celle qui en fait les frais, c’est la population, avec notamment un déficit de réseaux routiers impliquant de nombreux réveils avant 4h du matin pour « prendre sa place dans le trafic », comme le chantait Cabrel.
La préfecture et les élus de la majorité du département se sont mis d’accord sur une structure qui pourrait satisfaire tout le monde, le Groupement d’Intérêt Public (GIP). D’un côté, il permet à l’Etat de partager les frais de fonctionnement sur un service dont il n’arrive pas augmenter le budget, et d’un autre, le Département peut monter en puissance sur des compétences qui lui revienne de droit. Mais le GIP est depuis plusieurs semaines sujet à débat. Il devait être voté en commission permanente le 26 février, et a été retiré de l’ordre du jour par le 2ème vice-président Mhoko qui présidait la séance.
La polémique porte d’abord sur la répartition des charges entre l’Etat et le Département au sein du GIP. Annoncé à 50-50, plusieurs sous-entendent que l’Etat ne mettrait pas un copeck dans l’escarcelle. « C’est faux !, explique Ali Debré Combo, porte-parole de la majorité que nous avons contacté, la préfecture met autant que nous en fonctionnement, que ce soit sur l’effectif de 34 personnes prévues, qu’en apport financier ». Nous avons en effet eu la confirmation que le GIP sera financé à 80% par l’Europe, et à 10% chacun par la préfecture et le conseil départemental. L’Europe apporte en outre l’assistance technique, à travers les 2 millions d’euros qui ont été avancé à la 1ère programmation, mais non consommés.
Le Département préside le GIP dans trois ans
Ensuite, il y a interrogation sur la mise en place du GIP à la fin de cette mandature. Pour plusieurs acteurs, la décision doit revenir au prochain exécutif, après les élections départementales de juin, « sinon, la volonté politique ne sera pas au rendez-vous. La prochaine équipe aura l’impression qu’on lui a imposé quelque chose et ne va pas se l’approprier. On l’a vu avec la décision de Daniel Zaïdani de priver le département de la gestion. » Et les équipes actuelles sont jugées insuffisamment musclées, « elles ne font qu’approuver ou pas les décisions de l’Etat. Or, il faut se positionner sur des projets qui collent aux réalités du territoire. Et répondre à une question, comment gagner en maturité politique pour bâtir Mayotte avec les fonds européens ? »
Une question de passation de témoin à laquelle Ali Debré Combo a une réponse, « le Programme Opérationnel a déjà débuté depuis le 1er janvier 2021, il ne faut donc plus trainer et monter ce GIP rapidement. Surtout que, face aux propositions de l’Etat, nous avons fait des contrepropositions et avons obtenu une présidence alternée. La préfecture conserve la présidence les 3 premières années, et nous la prenons ensuite ». Une gouvernance sera dans les faits partagée dans le temps, qui laissera toute latitude à la présidence du Département quand arrivera son tour, de donner les orientations qu’il souhaite, y compris sur le choix du directeur. Le GIP court sur une durée de 10 ans.
Autre impératif, la consommation de notre part des 47,5 milliards d’euros de fonds REACT-EU débloqués sur deux ans, conclus par le Parlement européen en soutien aux conséquences de la crise sanitaire et économique. Mayotte bénéficie de 134 millions d’euros qu’il ne faut pas tarder à programmer. L’équivalent du projet Caribus nouvelle version !
Le rapport du GIP est mis à l’ordre du jour de la commission permanente ce jeudi 18 mars.
Anne Perzo-Lafond
* Modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles
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