Le 15 janvier 2011, des promeneurs découvrent sur la plage de Trévani le corps d’une jeune femme, à moitié caché par des branchages. Celle-ci était identifiée par la suite comme étant Roukia Soundi, donnant son prénom à une affaire prenant une dimension nationale, et qui avait durablement malmené le tribunal de Mamoudzou. L’enquête est confiée au GIR (Groupement d’Intervention Régional), qui va vite identifier le coupable. Mathias Belmer est le petit ami de la victime, et avouera plus tard qu’ils avaient consommé de la drogue. Mais ce qu’il pensait être de la cocaïne, est en fait de l’héroïne, dont une overdose a tué la jeune femme. Paniqué, il avait tenté de dissimuler le corps sur la plage, après l’avoir convoyé dans la voiture de sa patronne, gérante d’un salon de coiffure très couru alors à Mayotte. Il sera condamné à 5 ans de prison, et elle à 4 mois ferme.
Mais l’enquête se poursuivait pour tenter de remonter la filière des fournisseurs de Belmer. Avec d’autant plus d’énergies que peu de drogues dures circulaient à Mayotte en 2011 où le bangué (résine de cannabis), est le plus souvent consommé, la chimique n’ayant pas encore fait les dégâts que l’on connaît. C’est le juge Hakim Karki qui mène l’instruction. Il entend deux hommes suspectés d’avoir fourni la drogue, qui lui expliquent travailler comme indics pour le GIR. En creusant, il découvre un trafic qui lui semble peu orthodoxe.
A un premier niveau tout d’abord. Le fournisseur habituel de Mathias Belmer, était en relation avec un agent de renseignement du GIR, qui avait expliqué enquêter sur une filière d’importation de cocaïne. Ils reçoivent un échantillon identifié comme relevant de cette substance. Mais de cette opération aucun procès verbal, aucune photo, aucune trace. « Je ne sais plus ce que j’en ai fait », annonçait à la barre du tribunal le policier qui la détenait. C’est donc le procès d’une négligence coupable des agents du GIR qui s’était tenu en juin 2016, dont l’appel s’était conclu sur une peine de prison ferme, 4 mois, pour le plus impliqué des trois membres du GIR, les autres ayant écopé de sursis.
Une histoire de coups montés
Mais les auditions des uns et des autres, notamment des indics, éveillent la suspicion du juge Karki, qui demande un réquisitoire supplétif. Des gradés seraient impliqués, dans l’orchestration d’un trafic de drogue, sous couvert de le démanteler. L’affaire monte à Paris, le général de gendarmerie Véchambre, ex-patron de la gendarmerie Outre-mer, tente d’intervenir. L’opinion publique dénonce une pression. La tension monte encore autour du juge d’instruction, quand de multiples éléments de l’enquête allant dans son sens, sont diffusés dans la presse locale. L’hyper médiatisation de l’affaire souligne les relations tendues du juge, depuis impliqué dans une affaire viol, avec sa hiérarchie, rajoutant encore de la confusion à l’affaire. Qui prend une nouvelle tournure quand on apprend qu’il est mis sur écoute par le second juge d’instruction du TGI dans le cadre des fuites dans la presse… deux juges qui s’espionnent, l’ambiance devient délétère au tribunal.
De son côté, le patron de la section de recherche de la gendarmerie d’alors, Michel Alize explique qu’il reçoit lui aussi l’ordre d’écouter ses collègues, et rapporte des éléments accablant. Le GIR aurait à cette époque monté des coups, « environ un par mois », pour faire grimper leurs statistiques de saisies et se faire mousser à Paris. Avec la tête du GIR, Gérard Gautier, comme grand ordonnateur. Le scandale éclate. Mais depuis, plus aucune nouvelle des suites données à ces mises en causes jusqu’à il y a prés de deux ans.
L’ancien procureur de Mayotte, Camille Miansoni, reprend en effet le dossier, et juge que « des charges suffisantes » existent pour appeler à la barre Gérard Gautier, ainsi que 7 autres personnes. Nous avions eu accès à son réquisitoire. Les faits semblent s’y imbriquer comme des Lego.
Des tontons dealers ?
Un scenario auquel il ne manque plus que les dialogues d’Audiard se déroule au fil des 25 pages de réquisitions. Parmi les « petits », un pêcheur s’explique : « On allait tous chercher du bangué ou des trafiquants car c’était ce qui était demandé par le GIR, mais ce n’était pas facile, car on n’était pas de ce milieu. » Des témoignages corroborés par des écoutes téléphoniques.
Un autre explique qu’en échange de ses arrivées des papiers lui étaient promis par « Christophe et Tonton », un des gendarmes, et le patron du GIR, qui serait venu chercher l’indic en voiture lui-même.
Pour financer ces passages depuis Anjouan, des candidats à la migration seraient embarqués, mais à l’arrivée sur la plage en Petite Terre, ils s’évanouissaient dans la nature. 0% d’interpellation, mais 100% de réussite dans la prise de drogue, voilà qui a commencé à interpeller d’autres membres du GIR, dont certains témoignent à charge contre leur patron. Ils rapportent des « coups » anticipés de manière un peu trop certaine. Le taux de réussite dépassait celui de la PAF, avec 149 kg saisis pour le GIR, contre 45kg pour les policiers.
Les deux principaux mis en cause nient les faits présentés sous cet angle. Il n’y a jamais eu de démarchage de leur part, seulement l’enregistrement d’informations sur de possibles ballots de cannabis en provenance d’Anjouan. Et la préparation d’une opération judiciaire en collaboration avec le parquet. Gérard Gautier s’est attaché les services de Me Szpiner, un des ténors du barreau de Paris.
Alors, simple utilisation d’indic, ou organisation d’une filière ? Le procès qui place 8 agents du GIR dont l’ex-patron d’une structure démantelée depuis, sur le banc des accusés, devrait permettre de savoir si l’immigration clandestine a servi ou non l’import de drogue et la promotion professionnelle de fonctionnaires. Si le procès parvient à se tenir par ces temps de confinement et de déplacements contraints aux motifs impérieux des personnes convoquées et de leurs avocats.
Anne Perzo-Lafond
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