Yves Bonnet n’a jamais eu la langue dans sa poche, a toujours eu des positions tranchées, qu’il soit en activité, ou par la suite avec ses tribunes dans Médiapart. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, notamment sur le contre-espionnage, lui qui était à la tête de la DST 1982 à 1985, nommé par François Mitterrand. En 1993, c’est sous l’étiquette UDF qu’il est élu député de la Manche.
Cette tribune, raccord avec son style habituel, est au vitriol contre le Quai d’Orsay, contre les préfets successifs à Mayotte qu’il accuse de lâcheté, et contre la position de Paris envers Mayotte de manière plus générale. « J’assume l’entière responsabilité de ce que j’ai écrit, nous explique-t-il au téléphone, quand il a fallu défendre Mitterrand ou Hernu, je l’ai fait ».
Cette Tribune, Yves Bonnet l’a écrite en “réaction aux récents événements”. Nous avons jugé cette publication utile par ce qu’elle dénonce, mais aussi par le débat qu’elle ne va pas manquer de susciter. Et de la part d’un amoureux du territoire.
Réflexions d’un préfet de Mayotte
En janvier 1982, le gouvernement m’a nommé préfet de Mayotte. J’avais 46 ans, une solide expérience de la préfectorale et de l’Outre-Mer, ayant exercé en Guyane et en Martinique. Pour autant, je ne m’imaginais pas ce qui m’attendait à Mayotte, une ile perdue de l’Océan Indien, si ce n’est qu’on me demandait de me contenter d’exister en tant que représentant de l’Etat et surtout de ne rien faire qui soit de nature à déplaire au tyran voisin, Ahmed Abdallah, ami de François Mitterrand et auquel le gouvernement socialiste se proposait de « rendre » Mayotte. « Moins vous en ferez, mieux cela vaudra », telle était la consigne d’Henri Emmanuelli, le secrétaire d’Etat aux DOM-TOM, consigne que je ne suivis pas car me paraissant en contradiction formelle avec mon engagement républicain. Et puis il faut dire que dès mon arrivée dans l’ile je fus touché par l’attachement profond que portait une population unanime à la France. Je me mis au travail et sans aucune aide, aucun crédit, avec des fonctionnaires désabusés en fin de carrière mais honnêtes, j’entrepris de faire sortir tous ces braves gens d’une misère dont ils ne se plaignaient pas, se satisfaisant d’être Français.
Je n’ai certes pas accompli de miracles mais j’ai pleinement réussi en deux domaines : j’ai rendu une Mayotte en meilleur état que celle que j’avais trouvée, avec un SMIC revalorisé, quelques kilomètres de route supplémentaires, une classe de cinquième qui s’ajoutait à celle de sixième trouvée à mon arrivée, quelques équipements à l’hôpital, une meilleure préservation des plantations dévorées par les bouzis, et une immigration zéro, aucun Comorien n’ayant été admis à entrer sur le territoire en dépit des pression éhontées de Paris.
Dix mois plus tard, j’étais rappelé à Paris pour prendre la direction de la DST*, et je conservais, dans un coin de mon cœur un profond attachement pour ces Mahoraises et ces Mahorais qui m’avaient si bien accueilli et pleuraient – comme moi – mon départ. Il y avait alors 55 000 habitants et ce chiffre me paraissait déjà élevé compte-tenu des potentialités de Mayotte et de la densité humaine des DOM que je connaissais. C’est pourquoi je n’ai jamais compris comment on avait encouragé ou toléré une telle croissance démographique largement imputable à une immigration qu’il fallait absolument maintenir au taux zéro. La croissance la plus élevée de tous les DOM-TOM, qui si elle était appliquée à la Guadeloupe ou à la Martinique que je connais bien, les situerait à quatre millions d’habitants chacune.
Comment en est-on arrivé là ? Comment les préfets qui en ont eu les moyens ont-ils supporté une telle invasion sans l’interdire ? Comment le gouvernement qui a intégré Mayotte dans la République n’en a pas préservé l’intégrité ?
Il ne faut pas en vouloir aux Comoriens qui fuient la misère, la dictature, l’injustice et, probablement, voudraient redevenir Français. Mais ils ne le sont pas, comme les Dominiquais, Saint-Luciens ou Haïtiens qui rêvent aussi de la France. Mais leur choix fait voici plusieurs dizaines d’années est définitif et le colonialisme français si décrié, vilipendé, ne peut les accueillir de nouveau alors que l’OUA** se ridiculise en réclamant le retour de Mayotte au sein des Comores.
Mayotte est française désormais et les Mahorais nos compatriotes. Mais les Mahorais seuls. Puisque la République – les préfets successifs, n’ayons pas peur des mots et le Quai d’Orsay pusillanime – a failli dans sa mission élémentaire d’assurer la sécurité de ses citoyens, revenons à des concepts simples comme celui du droit du sang et non du droit du sol, un sol dont la République des Comores s’égosille à réclamer le retour et que nous ne rendrons pas. Mais en même temps, rendons Mayotte aux Mahorais et aux Français qu’ils sont. Point final.
Yves Bonnet, Préfet de région honoraire, Ancien député
**DST : Direction de Surveillance du Territoire. Devenue depuis DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure) après sa fusion avec les Renseignements généraux
** OUA : Organisation de l’Unité Africaine
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