« Je regrette de ne pas vous avoir accueilli en terre mahoraise avec un ‘Karibu maore’, bienvenu à Mayotte », lançait en préambule le président Soibahadine. Car c’était une première pour Mayotte que cette présidence de Conférence des présidents des Régions Ultrapériphériques (CPRUP) de l’Europe, exercée pendant une petite année. Une année chargée en événements avec la crise Covid et le Brexit.
Et une année à défendre un combat que ses prédécesseurs ont mené avant lui, et que les successeurs devront poursuivre : la prise en compte des spécificités de ces 9 Régions hors Europe continentale, que sont les 5 DOM français, la collectivité de Saint –Martin, les portugais Açores et Madère, et les Canaries espagnoles. Ces particularités sont pourtant inscrites et défendues dans l’article 349* du Traité de Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), précisées par « l’arrêt Mayotte ». Une garantie insuffisante, c’est ce qui ressort des discours en visioconférence des présidents des 8 autres RUP.
« Uniformiser les politiques européennes est une erreur, on le voit avec les décisions prises en matière de pêche et de POSEI**, il faut différencier », répétait José Manuel Bolieiro, président du Gouvernement des Açores, qui succède à Mayotte à la tête de la CPRUP. Une double présidence pour le Portugal qui s’apprête aussi à prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne au 1er janvier 2021.
Ces écarts de développement entre le territoire européen et ces 9 Régions très périphériques, sont dénoncés depuis plusieurs années, en vain semble-t-il, pire même, puisque les décisions européennes les accentuent, dénonce l’homme fort de la Guyane, Rodolphe Alexandre, le président de la Collectivité est connu pour ne pas avoir sa langue dans sa poche : « Nous avons un secteur agricole en besoin d’expansion, qui ne consomme encore que 4% du POSEI, et on nous diminue ce fonds ! Du côté de la pêche, même coupe dans le Plan de compensation des surcoûts, alors que nous n’avons pas le droit de moderniser nos flottes de pêche, et que pendant ce temps, notre ressource est pillée par les pêcheurs du Surinam et du Brésil. On va tuer cette économie! » Même combat à Mayotte où en 2015, 22 thoniers senneurs industriels français et espagnols, totalisaient 2.234 tonnes capturées dans la ZEE, sans « aucune retombée sur le territoire, faute d’infrastructures adaptées » (Rapport 2019 de l’Assemblée nationale).
Un détricotage en cachette
Pareil pour Madère, expliquait le président du gouvernement, Miguel Albuquerque : « La diminution du POSEI de 3,9% est une décision incohérente et sans fondement, quant à la réduction de la compensation des surcoûts de la pêche et à l’interdiction du renouvellement de la flotte, elles tombent sur une filière pour grande partie de pêche traditionnelle du poisson épée, qui ne menace pas les réserves maritimes, contrairement aux gros armements qui viennent nous piller. »
Du côté de La Réunion, la vice-présidente de la Région, Yolaine Costes, ironisait, « à l’image de la fable de Homère, la Commission européenne détricote-t-elle la nuit ce qu’elle a eu du mal à concevoir le jour ? », en référence aux annonces de l’ancien président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker il y a 3 ans, d’aide au développement de la flotte des RUP. « Il faut revenir à des décisions simples d’équité et de proportionnalité », jugeait-elle.
En réponse à ces critiques, Elisa Ferreira, Commissaire européenne en charge de la cohésion et des réformes, assurait avoir défendu l’enveloppe du POSEI telle que le souhaitent les RUP, « la question est actuellement débattue entre le Conseil et le Parlement, avec je l’espère, une issue favorable. » Nous apprenions depuis par le député européen Younous Omarjee, que le budget du POSEI est sauvé, “le budget du POSEI sera maintenu à hauteur de la précédente programmation”, rapportait-il ce dimanche soir.
Les Canaries touchées par l’immigration
A côté de la pêche, l’autre grand sujet transversal aux RUP, c’est l’immigration. Sans doute, la présidence de Mayotte aura-t-elle exacerbé un sujet qui est aussi d’actualité avec l’élaboration d’un nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile. Il part d’un constat basé sur les données de l’UE, 2 à 3 millions de migrants entrent chaque année sur le territoire européen, dont moins de la moitié pour des raisons professionnelles, d’autres pour des raisons d’attachement personnel. Entre 1 million et 1,5 million de ces personnes quittent ensuite le territoire de l’UE.
Au niveau des RUP, la situation de Mayotte, bien qu’exceptionnelle n’est pas isolée. Pour la Guyane, Rodolphe Alexandre explique être débordé, « nous construisons actuellement 7 lycées et 5 collèges, même les Cubains se réfugient chez nous. L’immigration met en péril les valeurs de fraternité que défend la France. » Surprise, les Canaries, pourtant intégrées comme Madère et les Açores dans l’espace Schengen, vu ici comme une solution, ne sont pas en reste, comme le rapporte le président du GOuvernement Àngel Victor Torres: « Nous devons gérer 5.000 mineurs non accompagnés. Ils doivent être pris en charge par les gouvernements centraux qui pensent que c’est aux RUP de le faire. Nous avons besoin d’aide. » Pour convaincre sur Schengen, Mayotte devra donc se pencher de prés sur la situation aux Canaries et draguer ses sœurs des RUP françaises pour une position commune.
Pour Elisa Ferreira, il n’y a pas de doute, les RUP bénéficieront du Pacte Asile et Migration en terme de fluidité des migrations, « puisque la France, l’Espagne et le Portugal sont signataires ». Reste à savoir ensuite quelle cuisine interne pratiquera chaque Etat…
Ariane entourée d’un désert numérique
Le Plan de relance post Covid et la programmation de la prochaine enveloppe européenne, ont également été largement abordés. Rodolphe Alexandre déplorait qu’on ne tienne pas compte là encore des spécificités des Régions éloignées de l’Europe aussi en terme de développement : « L’enveloppe 2021 est évaluée en se basant sur la précédente, sans tenir compte de la nécessaire montée en puissance de la politique de coopération régionale et de la paupérisation des territoires. »
En revanche, tous, sans exception, ont salué les avancées, dont le REACT-EU, qui octroie à chaque RUP une aide de 30 euros par habitant, soit environ 9 millions d’euros à Mayotte, ou le retour au taux de cofinancement de 85% du fonds FEDER et FSE+, « et depuis jeudi, sur l’Interreg », annonçait Elisa Ferreira.
Les RUP n’ont pas assez conscience de leur poids, valorisait Daniel Gibbes, président de Saint-Martin : « L’ensemble des populations des 9 RUP dépasse 1% de la population européenne, et les 105 milliards d’euros de nos PIB sont deux fois celui de la Croatie. Nous sommes donc comparable à un Etat membre à part entière et non entièrement à part, pour paraphraser Aimé Césaire ».
Ce décalage sur la vision qu’a Bruxelles de ses RUP, la Guyane l’illustre à merveille, « nous avons une couverture numérique déplorable sur un territoire où décolle la fusée Ariane », déplore Rodolphe Alexandre.
Si pour José Manuel Bolieiro, les RUP sont « un laboratoire vivant des politiques européennes », et que pour le Guadeloupéen Ary Chalus, « l’actualité nous appelle à revoir nos modèles de développement pour le territorialiser », c’est l’urgence qui prime pour Yolaine Costes : « Il faut appliquer le plan de relance sans délai, car les procédures de liquidation de nos entreprises n’en ont pas. Il faut aussi alléger la lourdeur des programmes européens, leur cloisonnement et leur concentration thématique. »
C’est donc José Manuel Bolieiro qui reprenait la présidence à l’issue de cette XXVème Conférence des présidents des RUP.
Anne Perzo-Lafond
* L’article 349 TFUE permet au Conseil d’arrêter des mesures dérogatoires pour ces Régions, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen. Dans « L’arrêt Mayotte » du 15 décembre 2015, la Cour de Justice de l’Union européenne précise la portée de cette distinction
** Le Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI) est l’outil de mise à disposition d’aides européennes et nationales au secteur agricole pour toutes les RUP. Il vise globalement à améliorer la compétitivité économique et technique des filières agricoles ultramarines
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