Lors du lancement du mois consacré à la Convention Internationale des Droits des Enfants (CIDE), Adrien Taquet a été interpellé notamment par les enfants. Certains faisaient remonter leurs conditions de vie au quotidien, parfois inhumaines, qui vont bien au-delà de la simple revendication des droits comme on l’entend en métropole. Ils peuvent cumuler l’ensemble des déficits de soins, d’éducation, d’alimentation, dont doit bénéficier un enfant. Le philosophe David Guyot avait répertorié 4.000 mineurs isolés, dont 300 strictement sans référents parentaux. « Ceux là sont pris en charge dans nos services, nous avait expliqué Issa Issa Abdou, 4ème vice-président du Département, chargé de l’Action sociale et de la Santé.
Dimanche en arrivant à Mayotte, le secrétaire d’Etat a évoqué à plusieurs reprises le fort accompagnement de l’Etat sur la prise en charge de l’action sociale en général, et de ses mineurs en particuliers. On pouvait presque percevoir un petit air de reproche sur le résultat obtenu à l’égard du conseil départemental, qui avait disparu ce lundi. Pour laisser place tout d’abord à un encouragements, « je salue le travail fait par le Département et le vice-président Issa Abdou sur le Schéma départemental de l’Enfance et des Familles, notamment sur les structures mises en place », et inciter à aller plus loin, « l’Etat peut vous aider, notamment sur la contractualisation en matière de stratégie de prévention et de protection de l’enfance. »
Un contrat de 80 millions d’euros auquel beaucoup de départements, 40, ont souhaité souscrire, mais qui n’a étonnamment pas reçu de réponse de Mayotte. Nous avons sollicité Issa Abdou qui s’explique : « Nous n’étions pas prêts à proposer un dossier finalisé. Nous y travaillons pour accéder à cet accompagnement l’année prochaine. »
« Poursuite des difficultés à la CRIP »
Une aide proposée sur 3 points, dont un qui intéresse plus particulièrement le secrétaire d’Etat, « l’amélioration du fonctionnement de la CRIP, la Cellule d’Information préoccupante. Je l’ai visitée ce lundi, il y a des difficultés, le nombre d’informations préoccupantes a été multiplié par 10 en quelques années. » Cette cellule qui doit avertir en amont d’une maltraitance dans les familles, nous l’avons écrit, c’est le talon d’Achille de l’Action sociale du Département, « et c’est toujours le cas », nous indique Issa Abdou. Or, un enfant qui est signalé en danger par un enseignant ou une assistante sociale et qui n’est pas suivi, voit souvent sa situation aggravée. « Nous avons toujours du mal à structurer cette direction », la directrice qui avait été nommée, est repartie.
A Mayotte, la situation est particulière. « Quasiment la moitié des enfants ne voient pas leurs droits au titre de la CIDE respectés, avait mis en garde Issa Abdou, notamment en raison de la situation de pauvreté de l’île. C’est le cas d’un enfant vivant dans une case en tôle, ou qui n’a pas accès à l’eau potable, c’est une atteinte à ses droits. On va avoir du mal à tout gérer ! » Il faut donc commencer par ceux qui n’ont pas de toit, pas de famille au sens de cellule familiale. Dans beaucoup de cas, un proche accepte de prendre en charge l’enfant lors de l’expulsion de ses parents, mais ne s’en occupe pas vraiment ensuite.
Blocage des mesures par peur de l’envahissement
Un sujet qui amène régulièrement Issa Abdou à demander que la circulaire Taubira de répartition des mineurs entre départements s’applique ici. Nous avons donc interpellé Adrien Taquet sur ce sujet. Sa réaction est catégorique : « Si on applique la clef de répartition entre départements ici, en envoyant un certains nombre de mineurs en métropole, il y aura un appel d’air, je ne vous donne pas 6 mois pour que le nombre de mineurs isolés soit multiplié par 10. » Il évoque une idée de répartition entre départements qui viendrait de Jean-Luc Mélenchon, « les idées qui paraissent évidentes sont souvent simplistes », critiquait-il encore. En réalité, le chef de file de la France Insoumise n’avait fait que reprendre la volonté des élus mahorais.
L’ « appel d’air », un argument souvent brandi à Mayotte pour freiner toute convergence des droits pour la population. On prend cette fois le risque de voir une mesure de prise en charge des mineurs sans famille et livrés à eux-mêmes, nous passer à côté.
La meilleure des mesures serait le rapprochement avec les familles retournées aux Comores. Elle n’est pas que le fait d’associations, assure le ministre, « un travail a été entrepris au ministère des Affaires étrangères ».
S’adressant au secrétaire d’Etat, le président du conseil départemental Soibahadine Ibrahim Ramadani rapportait notamment que la délinquance « a pris de l’ampleur et met en cause de nombreux mineurs. Beaucoup ont des troubles importants du comportement, nous avons besoin de structures spécialisées », appelant pour l’occasion la nécessaire convergence des droits sociaux à Mayotte.
La prise en charge des mineurs qui finissent en errance, et souvent pour les jeunes ados, sans avenir faute de papier, reste donc en suspens à Mayotte. Même si l’action sociale du Département doit encore se structurer, une vraie stratégie est à mettre en place, et des décisions ambitieuses font encore défaut. Nous devons nous contenter des mesures nationales, et encore, pas toutes, qui sont insuffisantes au regard du nombre de mineurs à prendre en charge. C’est aussi pour cela qu’Adrien Taquet mettait la pression sur les parents, « même si c’est très difficile pour certains », qui doivent avoir de l’ambition dans l’éducation de leurs enfants, « vous avez un rôle fondamental à jouer ».
Anne Perzo-Lafond
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