Le Forum économique de Mayotte battait encore son plein ce jeudi matin avant de baisser le rideau en soirée. L’occasion de se réjouir d’une organisation rodée de la part de l’ADIM (Agence de Développement et d’Innovation de Mayotte), dont on a rarement eu l’habitude à Mayotte, pas de bug sur les téléconférences, et des intervenants de qualité, à distance comme en présentiel. Y participaient en petites mains, les BTS Support Action managériale du lycée des Lumières (Mamoudzou Nord). Et une permanence des experts comptables était organisée pour les entreprises.
Lors de la 2ème journée, le public était aspiré dans une autre dimension lors de l’intervention de Marcel Escure, Ambassadeur à la coopération régionale dans l’océan Indien (successeur de Luc Hallade), tant le sujet du défi Indopacifique donnait le vertige. « Dans l’Antiquité et le Moyen Âge, tout se jouait en Méditerranée, puis ce fut l’Atlantique, et désormais, c’est dans la zone Indopacifique que les échanges entre les grandes puissances mondiales vont se faire au XXIème siècle ». En effet, une note diplomatique française consultable en ligne, met en évidence le projet chinois de « Nouvelles routes de la soie », les stratégies japonaise, australienne ou indienne axées sur l’Indopacifique, autant d’ « opportunités pour notre pays comme pour l’Union européenne ». Riche de 1,5 million d’habitants, 8.000 militaires en mission, de 93% de sa zone économique exclusive située dans les océans Indien et Pacifique, la France peut chouchouter ses outre-mer.
« Arrêtez la sinistrose ! »
« A Mayotte, vous faites partie de cette zone de nouvelles routes de production qui atteint des volumes jamais connus. Il faut changer de carte mentale et arrêter la sinistrose, invitait Marcel Escure, demandez-vous si un jeune allemand était heureux de vivre dans un pays en ruine en 1950. Depuis, ils ont changé les choses. » Conscient que le vertige guette aussi les entrepreneur face à une très vaste zone dont nous épousons la bordure ouest, le diplomate énarque appelait à se concentrer sur « des données proches des entreprises », en rappelant qu’un conseiller diplomatique avait été nommé auprès du préfet, Charles-Henri Brosseau. Qui n’a pas été présenté à la Case Rocher en même temps que la dream team.
Une intervention qui aura permis de comprendre qu’une stratégie était à l’œuvre en dehors du projet gazier du Canal du Mozambique qui occupait la suite de la matinée. Avant de laisser le micro, il aura lâché, « méfiez vous des français, beaucoup d’escrocs circulent en Afrique. »
Cependant, et alors que chacun évoquait les travaux menés pour se préparer à la base arrière du projet gazier offshore de Total, amenant avec lui prés de 25.000 personnes, un autre ambassadeur français, au Mozambique celui-ci, avait livré la veille les échéances, et surtout, avait évoqué des freins peu compréhensibles de son point de vue à la coordination mozambico-mahoraise.
1+1 égale une mauvaise image
Découvertes au début des années 2010, les vastes réserves sous-marines au large des côtes nord du Mozambique sont estimées à 5000 milliards de m3. Faisant de ce pays probablement le 4ème exportateurs mondial à terme de gaz liquéfié. En visioconférence, David Izzo, l’ambassadeur de France au Mozambique, rapporte les échéanciers des trois futurs exploitants : « L’Italien ENI devrait être le premier en exploitant fin 2022, le français Total a pris du retard et devrait débuter son exploitation fin 2024 et l’américain Exxon a différé ses investissements, qui ne débuteront pas avant 2022. » Des opérations toujours soumises à la situation sécuritaire sur place, des attentats islamistes se faisant plus pressants, « notamment autour de la production gazière ». En août 2020, des djihadistes se sont emparés de Mocimboa da Praia, une ville portuaire dans le nord du Mozambique riche en gaz.
Ces difficultés ne sont pas les seules, expliquait l’ambassadeur conservant un langage diplomatique sur la forme, pas sur le fond. Alors que la capacité de prise en charge sanitaire est « saturée » dans le pays, une entreprise souhaitait envoyer un de ses salariés Covid+ à Mayotte il y a 10 jours, « cela permettait de commencer à positionner votre département en proximité du site gazier. Mais la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) n’a pas du tout répondu, obligeant l’entreprise à envoyer son employé en Afrique du Sud. » Autre exemple, plus particulièrement lié aux services hospitaliers : « La société Total a souhaité développer la plateforme de cardiologie au sein de l’hôpital de Mayotte, mais l’entreprise m’a fait remonter des difficultés de la part de l’ARS ». S’il dit ne pas vouloir tirer de conclusion hâtives sur le contexte à Mayotte qu’il ne maitrise pas, l’image donnée n’est pas celle qui est attendue, « je sais additionner 1 plus 1, et à mon modeste niveau, ces éléments déshéritent la promotion de Mayotte au Mozambique ». (Intervention rapportée sur le Facebook de l’ADIM, à 2h50)
Il faut espérer que l’expertise d’Emergency Medical Centers (Holdings), présenté par son créateur, le docteur Pierre Galzot, installé depuis 15 ans au Mozambique, mette du poids dans la balance. Car sur les 25.000 acteurs sollicités sur les plateformes offshore, ils seront environ 4%, soit 1.000 personnes, à vraisemblablement solliciter un jour ou l’autre les moyens médicaux disponibles à Mayotte.
On attend donc que le dynamisme soit autant le fait des entreprises, mais que des acteurs institutionnels.
Anne Perzo-Lafond
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