Inquiets du rachat de la filiale Vindemia de Casino dans l’océan Indien, par le Groupe Bernard Hayot (GBH), représentant de Carrefour dans les Outre-mer, les élus réunionnais avaient demandé une étude d’impact. Les Observatoires des Prix, des Marges et des Revenus de La Réunion et de Mayotte en ont confié la réalisation au cabinet Bolonyocte. Malgré ces conclusions alarmantes sur les menaces que ferait peser la concentration du marché de la distribution alimentaire sur peu d’acteurs, l’Autorité de la Concurrence a donné son aval. Sous conditions.
Mayotte pourrait sembler la moins concernée par l’opération étant donné que le Groupe Bernard Hayot n’y était pas implanté jusqu’à présent. Son rachat de la totalité des parts que le groupe Casino détenait dans Vindémia pourrait donc s’apparenter à un simple changement d’enseigne pour les surfaces concernées : l’hypermarché Jumbo score, 3 supermarchés et 31 magasins de proximité (28 Douka bé et 3 SNIE). L’étude d’impact pour Mayotte va s’attacher à démontrer le contraire.
Le groupe Vindémia, représentant en 2018, 880 millions d’euros de chiffre d’affaires, est le premier acteur du marché de la distribution généraliste à La Réunion et le deuxième à Mayotte au travers de sa filiale Bourbon Distribution Mayotte (BDM). Fort de ses 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires, notamment pour l’alimentaire avec ses Carrefour en Martinique, Guadeloupe, La Réunion et la Guyane, le Groupe Bernard Hayot en rachetant BDM à Mayotte atteindrait 45,5% de parts de marché, soit un bond de 38%. La première victime apparente serait le n°1 à Mayotte, le groupe Sodifram qui verrait fondre son marché de 7 points, à 38,4%. Le deux concurrents possèderaient à eux deux 84% du marché alimentaire. Avec le risque d’une entente implicite comme dans tout duopole, mais à la rigueur, c’est le cas actuellement, de manière plus diluée cependant.
4 doukas sur 10 atteints
Ceux qui risquent réellement de trinquer à la suite de ce rachat, ce sont les petits doukas, les épiceries de quartier. Le secteur avait déjà été atteint par la création de la marque Douka Bé de Jumbo/Vindemia, qui avait mis en place 28 structures sur l’île. Et d’autres sont à venir. Selon le rapport, ce sont 1.000 petits doukas qui pourraient disparaître ou être affaiblis, sur les 2.500 présents sur l’île. Leurs tentatives pour se fédérer en coopérative ne sont pas toujours efficaces.
Le niveau de concentration du nouvel ensemble GBH/BDM serait très élevé dans le centre de l’île, 70%, ainsi que Petite Terre, le Sud et Mamoudzou.
Plus encore qu’une atteinte concurrentielle qui renforcerait l’existant sous des couleurs différentes, c’est une destruction du tissu social en raison de leur rôle dans les villages que pourrait engendrer ce rachat. N’étant pas un indicateur retenu par l’Autorité de la Concurrence, c’est aux élus de se saisir de ce sujet.
Il faut aussi regarder au delà de l’alimentaire. Si l’Autorité de la concurrence a imposé ses conditions à La Réunion où le GBH a dû revendre 4 hypermarchés, dont Jumbo et deux supermarchés avant de pouvoir racheter Casino, c’est qu’il a d’autres secteurs en vue : l’automobile, les yaourts et produits laitiers de la marque Danone, qui lui permettrait de favoriser cette marque dans les magasins Carrefour du nouvel ensemble au détriment du concurrent local la Laiterie de Mayotte.
A Mayotte, pas de condition imposée, puisque Bernard Hayot n’est pas représenté. Mais l’étude d’impact craint un noyautage de l’approvisionnement et des circuits de fournisseur, et suggère de soumettre le rachat à plusieurs conditions, « la cession de deux filiales grossistes, SDCOM et Bamyrex, la cession de la filiale Sorelait (GBH) de production de produits laitiers à la marque Danone, la cession des activités de gros de Vindemia réalisées avec la filiale Supercash et la cession de magasins de BDM dans quatre zones afin de limiter la part de marché locale de GBH, Centre, Petite terre, Sud, pour limiter la part de marché à 35% et Mamoudzou pour limiter la part de marché à 40% ».
Bruno Le Maire interpellé
Mais ces « engagements comportementaux » comme les appelle l’étude, ne sont pas respectés par GBH. Une affirmation qui se fonde sur le différentiel des prix sur l’alimentaire entre les outre-mer où est présent le groupe et la métropole : 33% plus chers en Guadeloupe, 38% en Martinique, 28% à La Réunion, et contre 19% à Mayotte.
A La Réunion, une alternative à cette offre de rachat des parts de Casino dans Vindémia, avait été proposée par un consortium de trois acteurs, Leclerc, Leader Price et U. Mais Leclerc vient d’être débouté dans son recours contre la vente en cours par le Conseil d’Etat jeudi dernier. Un jugement au fond est attendu.
Les présidents des Chambres consulaires réunionnaises ont interpellé le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire, pour l’inciter à intervenir dans une opération qui « se situe à l’opposé de la position du gouvernement en place, qui entend lutter contre les économies de rente, les monopoles ».
Pour Mayotte, il faut tirer bénéfice de cette réorganisation du marché avec la vente de Vindémia, pour « favoriser un nouveau modèle de distribution », incite Bolonyocte Consulting. Qui a imaginé une nouvelle voie s’appuyant notamment sur le fonds d’investissement ECP qui fut le premier choix du groupe Casino avant que celui-ci ne décide de contracter avec le groupe GBH. Parmi les actionnaires de ECP, des grandes institutions, nous dit le cabinet, dont la banque mondiale ou l’AFD, et dont la stratégie est le financement du développement économique du continent africain. « Il y a donc là un acteur crédible, déjà initié et donc susceptible d’agir rapidement ».
Une évolution règlementaire serait en outre souhaitable pour changer le paysage de la distribution à Mayotte. Un sujet sur lequel l’Observatoire des prix a notamment la compétence, et dont on attend davantage de communication.
Lire le rapport Bolonyocte_OPMR Mayotte_Impact Vindemia_Rapport final_Vdef
Anne Perzo-Lafond
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