Il est 8h et la distribution de pétrole lampant n’a pas commencé. Ali est loin dans la file, « et pourtant je suis là depuis 19h hier au soir ». Il a passé la nuit allongé sur le bitume, « je ne veux que 20 litres, ça va me permettre de tenir une à deux semaines ».
A l’intérieur de la boutique, le directeur de la station nous explique : « Dès que je vais annoncer qu’on commence, ils vont tous se masser devant la pompe, or je veux éviter les regroupements ». La veille, un important renfort des forces de l’ordre était déployé, ce mardi matin, une maigre voiture de police. Joignant le geste à la parole, il invite les 10 premiers à venir en boutique prendre leur ticket d’approvisionnement en essence. Un mouvement de foules, des « hey ! », en pagaille, ça s’invective, « rien que le premier, il a 20 bidons pour lui tout seul ! », nous explique un homme.
C’est pourtant affiché en gros, seuls 20 litres seront délivrés par personne, « oui mais ils sont venus nombreux pour un seul consommateur ! » Bon an mal an, un petit groupe de 10 personnes se détache, et les 2 ou 3 employés de Total parviennent à créer un espace libre autour de la pompe.
Surtout que la station est également prise d’assaut pour les achats de gaz ce mardi matin. Un joli serpentin orange se dessine en bordure des bidons jaunes, « j’attends la livraison, j’ai donc du séparer les clients en deux zones », explique le responsable de station qui affiche un calme olympien. Les bouteilles de gaz respectent la distanciation d’un mètre, leurs propriétaires aussi.
Mais du côté de la file d’attente de pétrole, pas de barrière pour canaliser les clients.
Une interdiction illégale
Beaucoup de foyers utilisent encore le pétrole lampant pour leurs réchauds, et n’ont pas pu le faire en raison de l’interdiction de paiement en liquide imposée par la société Total Mayotte depuis le début du confinement.
Une interdiction illégale et donc punie par la loi, « Le fait de refuser de recevoir des pièces de monnaie ou des billets de banque ayant cours légal en France selon la valeur pour laquelle ils ont cours est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 2e classe », soit 150 euros, dit le code pénal. Même dans ce contexte de Coronavirus. Par contre, les commerçants peuvent exiger l’appoint ou demander aux clients de déposer pièces et billets sur le comptoir plutôt que de les échanger de la main à la main, selon le site 60millions-mag.com
Nous avons contacté la direction de Total Mayotte, qui nous fait savoir qu’elle ne souhaite pas communiquer pour l’instant.
C’est un soignant qui nous avait averti en passant devant la station d’essence ce mardi matin, « on s’acharne à prendre mille précautions et à soigner les malades au mieux, mais si ça continue comme ça, on court à la catastrophe ! »
Le manque a créé la frustration, la concentration de clients n’est donc pas étonnante. Le défi, c’est de se donner les moyens d’organiser et de canaliser la vente.
Anne Perzo-Lafond