La première barrière contre le Covid-19, c’est de rester chez soi. Mais comme nous le fait remarquer le statisticien de l’INSEE Jamel Mekkaoui, le « chez nous » à Mayotte prend différentes variantes. S’il est facile d’être confiné dans une maison avec jardin, ce n’est pas le même sport dans un appartement pour des familles avec de jeunes enfants, et encore moins dans des cases en tôles.
Quand depuis la métropole des messages de psychologues abondent sur les ondes pour savoir par quel bout prendre son couple en confinement (véridique !), à Mayotte il faut parvenir à survivre en familles très nombreuses, dans des cases en tôles surchauffées, sans ventilateurs, ni climatiseurs. Confinement rime alors quasiment avec internement. Et ce n’est pas une situation à la marge. « Prés de 4 habitations sur 10 sont en tôle, la même proportion qu’il y a 20 ans », nous dit l’INSEE dans son étude basée sur le recensement de 2017.
Lumière et fenêtre sur cour
On y voit également que prés de 30% des logements n’ont toujours pas d’eau courante. Concrètement, cela signifie que 81.000 habitants partent chaque jour chercher de l’eau, notamment à la borne fontaine. Une ligne absente de l’attestation de déplacement dérogatoire… Qui peut malgré tout s’apparenter à une sortie pour s’alimenter.
Et si des personnes sont dehors le soir, c’est qu’un logement sur dix n’a pas d’électricité, et qu’à partir de 18h, c’est donc l’éclairage publique qui est recherché. Les couvre-feux ne pourront donc pas être respectées.
Caractéristique qui l’emporte : à Mayotte 57% des logements sont considérés en surpeuplement, soit 6 fois plus qu’en métropole, un tiers sont en surpeuplement aggravé.
C’est donc dans une extrême précarité que les habitants doivent faire face à un confinement qui semble impossible dans ces conditions. Pour subvenir aux besoins de la famille, il n’est plus possible de compter sur la vente de denrées alimentaires dans les marchés, ils ont fermés. Le premier ministre Edouard Philippe décidait de leur fermeture seulement depuis ce lundi soir en métropole, et encore avec une dérogation de taille, « il sera permis aux préfet sur avis du maire de déroger à cette interdiction ».
Plongée de l’économie souterraine
Deux problèmes se posent donc : la difficile mise en place du confinement, et celui de l’approvisionnent de ces habitants en produits de première nécessité.
L’ARS semble avoir pris conscience du problème puisque sa directrice Dominique Voynet annonçait lundi l’ouverture de lieux adaptés pour accueillir et soigner des patients qui n’auraient pas la possibilité d’être suffisamment bien isolés à leurs domiciles. Mais il faut une prise en charge de manière plus globale, en maillant le territoire, une compétence du Département et des communes.
Quant à l’accès aux produits de première nécessité, dans sa tribune dans le JDM l’ancien élu Issihaka Abdillah préconisait de créer un fonds d’aide sous forme de chèque-achat au bénéfice des personnes relevant de l’économie informelle et sans emplois. « Le dispositif pourrait être financé conjointement par la CAF, le Conseil Départemental et l’Etat dans le cadre de l’aide familiale ».
En l’état actuel d’un confinement difficile, et faute de mieux vers lequel il faudra tendre, l’accent doit donc être mis sur les distances de sécurité à respecter, et l’importance de toucher le moins d’objets possible. Pour cela, il faut en urgence une traduction en shimaore des gestes-barrières, et avec des lettres arabes que comprennent ceux qui n’ont pas été à l’école. En attendant, “namu baki dagoni !”, restez à la maison… le plus possible.
Anne Perzo-Lafond