Un peu comme un messager, nous nous sommes rendus à la Direction des Finances publiques avec en poche la missive de la maire de Chirongui (Courriers aux Parlementaires – fiscalité directe locale). Hanima Ibrahima Jouwaou a fait ses calculs, et constate un trou de 400.000 euros de « manque à gagner » de compensation de la part des services fiscaux en 2019, et un déficit d’habitations recensées, elles sont 2.000 à Chirongui pour l’INSEE, « pour seulement 1.031 recensées par le cadastre ».
Il faut savoir qu’en cas d’exonération d’impôts locaux décidée nationalement, ou en cas de personnes exonérées en raison de faibles revenus, l’Etat doit compenser financièrement la perte auprès des communes. Mais à Mayotte, le compte n’y est pas, plusieurs retards débouchent sur une sous-estimation qui se chiffre en millions d’euros de la compensation comme l’avait révélé une étude dont nous nous étions fait l’écho, commandée par Saïd Omar Oili, président de l’Association des Maires de Mayotte (AMM) au cabinet Philippe Nikonoff conseil, afin de l’extrapoler au territoire.
Ainsi, à Dzaoudzi Labattoir en 2012, entre les 3.700 habitations enregistrées par l’INSEE et les 2.360 du fichier de la taxe d’habitation, la perte était de 48% de bâti, « c’est inédit en France ! », avait lâché Philippe Nikonoff. Nous avons donc interpellé monsieur DRFIP, pas en personne, mais son directeur adjoint, Thierry Achard.
Rappelons le contexte mahorais. Les valeurs locatives servent de base au calcul des taxes foncières et sont estimées par rapport à la valeur moyenne des locations sur le territoire. Etant donné que la fiscalité nationale dite de droit commun, n’a été appliquée à Mayotte qu’en 2014, c’est la valeur locative de 2012 qui était retenue ici, quand en métropole, c’est celle de 1970. Résultat, beaucoup de locataires de petits appartements payaient plus cher qu’une surface supérieure aux Chartrons, dans le nec plus ultra centre-ville de Bordeaux. Mayotte avait obtenu une baisse de 60% de ces valeurs, et donc des taxes foncière et d’habitation. Un tour de force. Les contribuables pouvaient souffler. Mais selon les élus, les valeurs locatives restent encore prés de deux fois plus élevées qu’en métropole (où elles sont en cours de rattrapage), pas autant pour la DRFIP, qui estime que le territoire « est revenu à des valeurs comparables ».
3 millions d’euros de compensation en 2019
Si la diminution de 60% des valeurs locatives a réjoui les contribuables que nous sommes, elle a taillé dans les recettes des collectivités. Pour Thierry Achard, c’est seulement l’année 2018 qui a posé problème, puisqu’elle a cumulé, pour faire simple, l’abattement DOM de 40% calculée sur l’année 2017, et l’application de la baisse de 60% de la valeur locative, « la quasi-totalité des contribuables a été exonérée de la taxe d’habitation, et les communes n’ont reçu aucune compensation », se plaint la maire de Chirongui. Aux impôts on sort les chiffres, « la perte de recette a bien été compensée à hauteur de 3 millions d’euros en 2019 sur la taxation 2018, sur l’ensemble du territoire. »
Si la situation est jugée comme « inquiétante » par l’édile de Chirongui, c’est que l’écart avec une fiscalité « dans les règles de l’art », pour reprendre l’expression du financier, reste important. Pour la commune de Chirongui, elle représente 10% des recettes contre 45% en métropole. Or, les communes ont plus que jamais besoin d’investir et de cofinancer les programmes européens. Thierry Achard en convient, tout en nuançant « la fiscalité est récente à Mayotte ». Ce qui légitime la défiance alors de plusieurs élus sur la mise en place la fiscalité de droit commun en 2014 alors que l’adressage n’était pas installé, et que le cadastre était déficient. Un petit panel de contribuables a donc été pressurisé, avec des communes augmentant les taux pour tenter de s’en sortir. Là encore, il ne peut que constater, « nous avons récupéré cette situation en l’état, et nous faisons le maximum pour accélérer cette phase de rattrapage. » Des solutions propres à Mayotte sont en effet mises en place.
Recensement aérien
En matière d’enregistrement des habitations, « les process de mise à jour du cadastre ne fonctionnent pas ici, car les futurs propriétaires ne déposent pas systématiquement un permis de construire comme en métropole. Il faut donc trouver une autre procédure ». Les services des impôts ont donc pris de la hauteur, « comme nous n’avons pas le droit d’échanger d’informations avec l’INSEE, nous menons régulièrement des opérations de survol aérien ». Avec des incertitudes, banga, pas banga ? Il faut ensuite aller sur le terrain pour s’assurer que l’habitation soit imposable, « nous menons ce travail avec les collectivités les plus volontaires ».
Deuxième problème, l’adressage. « En métropole, c’est l’impôt sur le revenu qui rattache les gens aux locaux. Ici, on a du mal, certains utilisent leur ancienne adresse. Du coup, nous enregistrons des locaux vacants, alors qu’ils sont habités. » La situation de l’adressage s’est améliorée dans beaucoup de communes, notamment avec l’aide de La Poste, « mais certaines communes hésitent à investir dans de couteux panneaux de rues. »
La compensation des personnes non imposables, très nombreuses à Mayotte, était sous-évaluée, pointait le rapport Nikonoff. Une réalité qui a évolué pour Thierry Achard : « Mayotte n’ayant pas eu de fiscalité directe locale, au moment où toutes ces mesures ont été mises en place, la compensation par l’Etat était nulle en effet. Mais aujourd’hui, l’Etat prend en charge le dégrèvement », nous assure-t-il.
« Peu d’élus et d’agents aguerris »
Alors que le besoin en logement est criant, et que le prévisionnel en construction est annoncé en forte hausse, les impôts fonciers vont suivre cette courbe ascendante. A condition encore une fois, que les faibles revenus voir leur déficit d’imposition compensé. Il faut donc une compensation dynamique. « A Chirongui, 5 opérations d’habitat et la création de la ZAC représentent prés de 1.000 habitations en plus », souligne Hanima Ibrahima.
L’inquiétude est d’autant plus légitime que la taxe d’habitation doit être totalement supprimée en 2023, et donc totalement compensée. Première mesure, la partie de la taxe foncière qui était allouée au Département va être détournée vers les communes. « Et s’il y a un décalage à la hausse ou à la baisse par rapport à l’année précédente, un coefficient correcteur sera appliqué ». Jacqueline Gourault, la ministre de la Cohésion des Territoires, a en effet promis de « neutraliser les cas de sous-compensation en attribuant 1 milliard de recettes supplémentaires de l’État aux collectivités » sur l’ensemble du pays.
Beaucoup de changement en vue pour les communes, alors que « peu d’élus et d’agents sont aguerris », déplore la maire. Les élus ont été entendus, puisque dans le contexte d’apport d’ingénierie, la DRFIP déploie dès le 1er janvier 2020 un réseau de conseillers aux décideurs locaux : « Nous mettons à disposition de chacune des cinq intercommunalités un cadre A, qui pourra travailler sur le rattrapage de la fiscalité ou sur l’analyse financière ». Quatre postes ont été accordés, et un déploiement se fera en interne, « nous sommes en cours de recrutement. C’est un effort de notre administration à souligner dans un contexte national de suppression de postes ».
Un partenariat sera évidemment noué avec la cellule d’ingénierie de la préfecture de Mayotte. Enfin, des permanences seront assurées dans les Maisons France Service.
Il reste que certains combats, comme celui des valeurs locatives professionnelles toujours très élevées à Mayotte, restent politiques, « nous faisons remonter aux administrations centrales », ou comme la réduction de 60% des compensations au niveau national, comme le fait remarquer une étude de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales rapportée par la Banque des Territoires. Aux parlementaires de se battre là encore comme ils l’avaient fait pour les locaux d’habitation privés. C’est d’ailleurs à eux que s’adresse la maire de Chirongui.
Anne Perzo-Lafond