Le sombre horizon de la Société Mahoraise d’Aconage, de Représentation et de Transit (SMART), jalonné de prolongations de périodes d’observation de son redressement judiciaire, pourrait s’éclaircir. L’administrateur judiciaire a en tout cas cherché un repreneur. Comme on le sait maintenant, la compagnie CMA CGM qui avait fait une offre de rachat aux actionnaires en début d’année, avait été stoppée net dans son élan en juillet par le virage à 180° de l’un d’entre eux. Jacques Virin s’était tourné vers une meilleure offre de rachat de ses 32,6% de part, émise par celle qu’il avait toujours poufendue, Ida Nel, présidente de Mayotte Channel Gateway (MCG). Celle-ci gestionnaire du port et manutentionnaire par sa filiale ManuPort, avait déjà réussi le tour de force de cumuler les deux activités en toute illégalité, et mettait donc là un pied chez son concurrent en se promettant d’y sauter bientôt à pieds joints. Malgré des offres alléchantes, les autres actionnaires n’ont pas craqué.
La CMA CGM a donc réitéré son offre, mais sous une autre forme, le paysage actionnarial ayant changé. Nous avons pu rencontrer deux des émissaires de CMA CGM pour évoquer la nouvelle proposition.
L’histoire de l’exercice de la Délégation de Service public (DSP) au port de Longoni a une configuration de poupées russes qui se reproduirait à l’infini, avec la plus petite telle une particule élémentaire invisible, datée de 2013 année de l’octroi de la DSP, alors que la dernière enveloppe extérieure vient d’émerger ce 30 septembre, date de dépôt des offres de rachat de la SMART. Et ce n’est pas fini…
Un retour en arrière s’impose pour lever une ambiguïté, et comprendre ce qui a amené CMA CGM à travailler exclusivement pour ManuPort. Lorsqu’elle remporte la DSP en 2013, Ida Nel crée Mayotte Channel Gateway (MCG), et reprend le périmètre d’activité qui était celui de la Chambre de Commerce, soit le parc de containers et les grues, dans lesquelles elle investit massivement en défiscalisant, puisqu’elle en achète 3 ainsi que 4 RTG. Elle crée sa filiale ManuPort, les seuls salariés du port qui seront autorisés à utiliser ses grues mobiles, privant ceux de la SMART de le faire, en sa qualité de gestionnaire d’un outil public ! « Nous avions donc signé un contrat commercial habituel, un TSA*, avec la seule société habilitée à les utiliser, comme nous le faisons partout », commente Patrick Huon, Chargé de mission manutention chez CMA CGM, qui dément donc un partenariat particulier avec MCG. La SMART perd d’un coup deux tiers de ses parts de marché, et plonge dans de grosses difficultés.
La SMART vidée de sa substance
« Face à ce constat, nous avons modifié notre position en redonnant à la SMART des navires feeder à servir, lui permettant un retour à l’équilibre », explique Sandrine Keramsi, Chef de projets CMA Terminals. Un jugement du tribunal de commerce de Marseille en mars 2016 les y contraint, avec rétroactivité. Mais trop tard, puisque, en octobre 2018, le manutentionnaire historique est déclaré en redressement judiciaire en raison de ses problèmes de trésorerie. « Face au risque de monopole qui se profilait, nous avons alors cherché à sécuriser les escales de nos navires, en nous positionnant sur la manutention. » C’est là que nait l’idée de l’offre de rachat des parts de la SMART. Un domaine que connaît bien la marseillaise CMA CGM, y compris en outre-mer pour être présent aux Antilles, en Guyane et à La Réunion, « avec des tonnages plus importants, puisque le nombre de containers manipulés à l’année ici, correspond à celui d’une journée au port du Havre. »
C’est alors que l’Etat aurait pris conscience du problème, sur lequel nous n’avons cessé d’interpeller dans ces colonnes… Il décide de rééquilibrer les forces en présence.
« Nous sommes venus lors d’une première mission en avril-mai 2019, avec trois interrogations. Il fallait que notre offre soit socialement acceptable, politiquement et juridiquement tenable et économiquement viable », nous explique le chargé de mission, qui est aussi un ancien docker.
Le retournement de veste de Jacques Virin qui vend les 32,6% de sa société familiale RSM à Ida Nel, plante l’offre. Un acte plus préjudiciable qu’il n’y paraît. « Car auparavant, nous agissions dans le cadre d’un plan de continuation, en rachetant leurs parts aux actionnaires, l’entreprise perdurait. Désormais, c’est un plan de cession qui est proposé, où l’administratrice judiciaire lance un appel à candidature pour une reprise des actifs de la SMART. » En clair, les actionnaires historiques, dont la société était au plus mal, sont aussi dépouillés de leur âme. Ida Nel possède donc 32,6% d’une société qui va être vidée de sa substance.
« Rien ne fonctionne au port »
« Nous sommes obligées de créer une autre entité, sous la forme d’une SAS, filiale à 100% de CMA Terminals, et dont nous n’avons pas encore choisi le nom ». Leur offre est déposée depuis le 30 septembre dernier, « nous pouvons donc communiquer ». Ils ont jusqu’au 19 novembre pour la modifier. La réponse du tribunal de Commerce sera donnée le 21 novembre.
Leur offre consiste à reprendre tous les salariés, soit 137, avec tous leurs acquis, sans condition d’évolution du chiffre d’affaire. « Nous maintenons aussi la concurrence, car il n’était pas possible de créer un problème social chez ManuPort. » Les acteurs portuaires semblent les adouber, « ils rapportent que rien ne fonctionne actuellement, notamment en raison d’une rupture de continuité entre la gestion de la manutention et celle du parc de container. Les logiciels de gestion diffèrent et les containers mettent beaucoup de temps à sortir du port ». D’autre part, si l’achat de grues mobiles leur semble justifié pour améliorer la productivité, celui des RTG est « une hérésie », « on ne peut les amortir avec les seulement 25.000 containers pleins qui entrent au port, leur achat est donc répercuté sur le consommateur final. »
Vers la mise en place de la convention nationale sur la manutention
Si l’offre est acceptée par l’administratrice judiciaire, les 3 millions d’euros de passif, dont plus d’un million de dettes réclamées par Ida Nel, seront réglés grâce à la vente de l’actif et à la trésorerie. « Nous nous sommes engagés à payer le 13ème mois et les congés payés en plus de la somme du prix de cession ». Qu’ils ne nous ont pas communiqué mais qui sera bientôt rendue publique. La prudence règne pour l’instant, ils n’ont d’ailleurs pas souhaité être photographiés.
Nous avons contacté Salim Nahouda, secrétaire départemental de la CGT Ma, qui y voit une sécurisation de la situation des salariés, mais pas seulement : « La CMA CGM a une grande ancienneté dans le maritime, et je ne vois pas d’un mauvais œil une multinationale quand elle annonce vouloir investir à Mayotte. Jusque là, ce n’était pas le cas, et par contre, nous étions face à une succession d’engagements passés avec le département ou notre syndicat, que MCG ne tenait jamais. »
Et il ne donne pas son aval sans rien dans sa besace, « nous avons obtenu que les discussions s’engagent sur l’application de la Convention collective unifiée sur la manutention à Mayotte d’ici la fin de l’année. »
CMA CGM n’est pas seul. Une seconde offre de reprise de la SMART aurait été déposée par le groupe réunionnais La Périère, la Chambre commerciale du tribunal de grande Instance prendra sa décision le 21 novembre 2019 en fonction de l’aspect social, « et notamment de l’avis des salariés », de la pérennité de l’entreprise qui émet l’offre, et de la façon dont le passif est épongé.
Anne Perzo-Lafond
* Terminal Service Agreement