Les navires Seychellois n’ont pas bonne presse sur le lagon mahorais. Et pas seulement chez les thons. A écouter les plus gros armateurs de pêche de Mayotte, la gestion des fonds sous-marins ressemble plus à une forêt vierge d’où disparaitraient peu à peu les espèces, qu’à une zone réglementée. Ils sont plusieurs à avoir alerté sur une surpêche.
Soumis à la question par deux de nos parlementaires mahorais, le sénateur Thani Mohamed Soilihi et le député Mansour Kamardine, la Directrice de cabinet du ministre de l’Agriculture a tranquillisé les esprits, « il n’y a pas de surpêche à Mayotte ».
Nous avons volontiers coincé notre vice-président du Sénat lors de son dernier passage à Mayotte, pour tenter d’y voir plus clair. Mais il était lui aussi en attente d’information : « L’eurodéputé Younous Omarjee avait alerté au Parlement européen d’un phénomène de surpêche dans notre zone, mais nous manquons de données chiffrées. »
Un organisme les a, la Direction de la Mer Sud Océan Indien (DMSOI, ex-Affaires Maritimes) à Mayotte, dont le directeur actuel, Michel Goron se veut rassurant : « Si la zone était en surexploitation, l’Union européenne imposerait des quotas et une surveillance des navires. » Oui, mais si aucune donnée fiable n’indique une surpêche ?… Cette fois, le militaire est ferme : « Pour que ce soit le cas, il faudrait que la quantité de poissons pêchés soit supérieure à la capacité de reproduction. Or, avec 2.300 tonnes pêchées en 2018 par les thoniers senneurs dans la Zone Economique Exclusive, c’est à dire jusqu’à 24 milles, on est loin du compte. »
« Les thoniers européens viennent peu »
Car la pêche est réglementée, et d’ailleurs, Mayotte a une carte à jouer. Pour comprendre les enjeux, il faut savoir qu’il y a trois types de pêche.
Les thoniers senneurs pour commencer : « Il y en a 8 immatriculés aux Seychelles, qui ont donc des licences, ainsi que 5 français, immatriculés à Mayotte mais qui ne viennent jamais pêcher ici, et une flotte de thoniers européens qui vient peu, délaissant Mayotte pour des zones plus prolifiques. » Ce sont les 8 seychellois qui ont totalisé les 2.300 tonnes de pêche. Quant aux 5 immatriculés à Mayotte, la France a utilisé ce réservoir d’immatriculations supplémentaires dans une flotte nationale qui lui était comptée, mais pour s’en aller pêcher ailleurs. Pas au détriment de pêcheurs mahorais qui voudraient se doter de thonier, assure Michel Goron, « nous n’en sommes pas encore là ! »
Car ensuite, nous avons des palangriers, « il y en a 5 ». Ce sont les réputés Cap’tain Alandor, Copemay, ainsi qu’un dernier pêcheur mahorais, Boura. Ils pêchent en tirant des lignes, les palangres, « et notamment les thons, en pêchant dans le même stock que les thoniers. » Le plafond est fixé à 12 palangriers à Mayotte. Il y a donc encore de la marge.
Enfin, la pêche côtière, appelée « barque Yamaha » ici, 150 sont immatriculées avec permis de navigation. « Petit à petit, nous arrivons à ce qu’ils soient inscrits maritime, pour remplacer leurs barques par des navires équipés », indique Michel Goron qui précise que l’un est en cours d’acheminement. L’objectif est de les faire « sortir du lagon, pour préserver la ressource, en les faisant pêcher autour des DCP*».
Vif appétit des Seychellois
C’est là que Mayotte peut peser : « Plus les pêches palangrière et côtière seront fortes, plus le nombre de kilowattheures enregistré pour Mayotte à Bruxelles sera élevé, plus nous pourrons demander de réduire les licences de pêche des thoniers senneurs. »
Car l’appétit des seychellois en matière de thons est vif. « Ils demandaient à passer de 8 à 13 licences. J’ai refusé, en raison d’un environnement hyper protégé, notamment la proche réserve des Glorieuses, et de l’ouverture permanente de notre zone de pêche aux thoniers français et européens. » D’autant plus que leur moyenne de pêche était de 900 kg par an les années précédentes, pour grimper donc à2.300 tonnes cette année.
Surtout qu’il explique devoir se battre, « notamment grâce à l’intervention du sénateur Thani Mohamed », pour obtenir à Bruxelles des dérogations de renouvellement de la flotte de pêche mahoraise, dont les palangriers, « ce ne serait pas logique de lâcher sur des licences supplémentaires. »
Car, le problème pour les palangriers, c’est d’être assis entre deux bancs de poissons, « entre la pêche côtière que l’on veut développer en dehors du lagon et les thoniers senneurs ».
Deux ans de gestation pour un petit ponton
Chacun des 8 thoniers paie 60.000 euros par an de licence, soit 480.000 euros qu’encaisse la préfecture, « pour financer le navire des Affaires maritimes alloué notamment au contrôle de la pêche. » Mais sans aucun reversement aux pêcheurs de Mayotte… « D’autres fonds existent pour ça ».
Mais pas performants. Sept pontons de débarquement de pêche sont toujours prévus, annoncés il y a plus de 3 ans par Michel Goron himself. C’est long. « Oui, mais financés à hauteur de 500.000 euros chacun par l’Etat au titre du contrat de convergence, ils font l’objet de multiples études environnementales, et au cas par ca. C’est le cas de ceux de Bandrélé et Kani Keli. Le délai est de 18 à 24 mois. » Bienheureux bretons qui n’eurent pas besoin de compter leurs crevettes pour aménager jadis leurs pontons de pierre, et qui ont pu devenir le peuple de marins pêcheurs que l’on connaît…
Revenons à nos données chiffrées. Si celles de la pêche au thon sont à peu prés connues grâce au Parc Naturel Marin mandaté par l’IFREMER, ce n’est pas le cas pour les palangriers et la pêche côtière, « ce sera fait quand nous aurons les points de débarquement, avec les pontons, les halles au poisson, les véhicules frigo, etc. » Mais je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans pourront sans doute connaître…
Anne Perzo-Lafond