La directrice du CHM Catherine Barbezieux s’était engagée lors de sa prise de fonctions à plus de transparence. C’est l’enjeu principal de l’exercice de communication auquel elle s’est pliée ce mercredi matin, en compagnie de trois médecins dont deux urgentistes.
L’idée était de communiquer sur une série de points, à commencer par l’hôpital de Petite Terre. La structure qui accueillera le premier service de soins de suite et réadaptation (SSR) de Mayotte a “pris du retard” regrette la responsable qui note que “deux entreprises sur le chantier ont fait faillite et il y a eu la démission d’un directeur d’opération, ce qui nous a obligés à relancer un marché.” Toutefois “les travaux ont repris” et devraient “être livrés en septembre, l’objectif c’est qu’on puisse déménager en novembre” indique la directrice. Les 7 millions d’euros nécessaires au fonctionnement de cette structure ont été validés par l’ARS et 70 créations de postes ont été actées.
200 rendez-vous par jour en dispensaire
Deuxième point abordé par Catherine Barbezieux, les consultations programmées, lancées l’année dernière. “C’est un franc succès” se réjouit la directrice du CHM qui vante “des retours très positifs”. Ce dispositif doit permettre à ceux qui ont un emploi de prendre un rendez-vous avec un généraliste en moins de 24h, en évitant ainsi le temps d’attente au dispensaire, ou auprès d’un généraliste libéral. Environ 200 patients par jour ont adopté le dispositif. Toutefois, “il reste de la communication à faire sur Jacaranda. La population de Mamoudzou n’est pas encore assez au courant qu’on peut, l’après-midi, y avoir une consultation programmée”. Le centre Jacaranda devrait prochainement déménager à Kawéni, afin de l’éloigner des Urgences et d’éviter toute confusion des rôles.
Cette communication est notamment nécessaire pour développer les consultations avec le médecin généraliste plutôt qu’aux urgences, surchargées et confrontées à des pathologies sans caractère urgent.
Egalement surchargé, le service de réanimation néo-natologique, qui voit passer chaque jour entre 45 et 55 bébés en détresse, “ce qui pose un gros problème” déplore la directrice. Si des couveuses supplémentaires ont été prévues pour accueillir plus de bébés par chambre au besoin, “cela pose des problèmes notamment pour les evasan. On a déposé un dossier en urgence pour augmenter les capacités de cette structure. On espère aboutir d’ici un an.” Premier pas, cinq postes de pédiatres supplémentaires ont été créés.
Des plaintes en urgence
Au service des urgences, “on a le même nombre de passages qu’au CHU de Saint-Denis” note la directrice. Malgré des moyens jugés insuffisants par les praticiens, le taux d’incidents y est similaire à celui de métropole, soit 10 à 12%. “A chaque incident, on fait une analyse des causes pour que ça ne se reproduise pas” souligne Catherine Barbezieux. Laquelle insiste sur “la différence avec l’incident ressenti, souvent celui qui finit dans la presse, on doit améliorer notre communication” en déduit-elle encore.
Incident ressenti ? “Quand on arrive aux urgences avec un rhume, il n’y a aucun problème à être pris en charge au bout de trois, quatre ou même vingt-quatre heures, car pendant ce temps-là, on sauve des vies” illustre-t-elle.
24h c’est donc un délai raisonnable pour un rhume, mais quid d’une barre de fer en travers du corps ? C’est ce qui est arrivé fin mai à Andhum Ousseni, un agent de la Ville de Sada. Le morceau de ferraille avait été découpé mais il a fallu attendre le lendemain pour qu’il soit opéré. Un cas particulier doublé de malchance selon le CHM. “Ce monsieur a été pris en charge par le SMUR qui s’est déplacé et a prodigué des soins selon les standards d’urgence”, explique le Dr Caralp, médecin urgentiste. Une fois pris en charge, le jeune homme a dû attendre “pour le bloc opératoire, il y avait des urgences supérieures à un fer à béton dans le bras, des cas plus graves que celui-ci”, poursuit le praticien.
“Quand un médecin a opéré toute la nuit, c’est avec la fatigue qu’on fait des erreurs, donc on a dû reprogrammer. Bien sur, pour le patient c’est inacceptable, ce monsieur n’a pas eu de chance car il y a eu un surcroît d’activité. Pour nous non plus ce n’est pas satisfaisant de faire attendre un patient plus de 24h”.
Cet agent municipal a déposé plainte. Actuellement, quatre procédures en justice visent le CHM. “Pas énorme” selon la directrice, mais déjà plus qu’en 2018, signe d’une “judiciarisation” dans notre département. La faute à “des patients qui attendent de l’hôpital un service qui relève de l’hôtellerie” estime la directrice. Pour elle, “on constate que quand il y a une médiation, quand on explique, ça ne donne pas lieu à des plaintes. Dans 99% des cas, celles-ci font suite à un manque de communication.”
Pour Issa Issa Abdou, président du conseil de surveillance, des intérêts politiques viennent mettre de l’huile sur le feu. “Dans le buzz médiatique, on entend des personnes qui sont candidates à des élections, j’ai écrit à la maire de Sada car j’ai trouvé ses interventions un peu too-much” commente-t-il. L’édile s’était en effet impliquée dans le cas de son agent municipal, espérant que ce genre de situation “n’arrivera plus jamais”.
Des plaintes, le CHM va lui aussi en déposer “systématiquement pour chaque agression d’un agent”. Ces derniers, notamment aux urgences, se disent de plus en plus visés par des incivilités. Souvent ils se taisent, “prennent sur eux” selon le Dr Caralp. Plusieurs praticiens se sont néanmoins “fait cracher dessus ces derniers jours”, incitant la direction à durcir le ton. Les agents sont invités à faire remonter les incivilités ou agressions, et les plaintes seront donc désormais automatiques. Une campagne d’affichage aux urgences vient rappeler ce que dit la loi et ce que risquent les agresseurs éventuels.
“On nous passe au crible”
Par ailleurs, le CHM a reçu deux visites d’importance ces dernières semaines. La première est une visite de certification composée de quatre experts qui ont fait le tour des installations, du CHM aux dispensaires. Leur rapport doit arriver d’ici quelques semaines. En outre de février à mai, la chambre régionale des comptes s’est penchée sur les comptes du CHM de 2014 à 2018. “On nous passe au crible” sourit la directrice. Là encore, des premières conclusions doivent arriver prochainement.
Le CHM a aussi mis fin à une pratique qui plombait son image, qui consistait à tolérer la présence de médecins aux pratiques douteuses, au motif qu’ils étaient difficiles à remplacer, ces derniers se sentant intouchables. “On a une liste de médecins qu’on ne reconduit pas, dont on a mis fin au contrat et/ou qu’on ne recrute plus car il y a eu des problèmes” assure la patronne du CHM.
Bientôt un avion et un hélico pour faire décoller la santé ?
Enfin, deux dossiers brûlants avancent pas à pas. Le premier, c’est celui de la psychiatrie. Avec seulement 10 lits, l’hôpital de Mamoudzou ne fait pas face aux besoins du territoire. Un centre médico-psychologique a toutefois été ouvert cette année dans le sud, informe la directrice. Des équipes mobiles assurent un suivi de certains patients à leur domicile. Ensuite, un projet de coopération régionale doit permettre d’aider des patients souffrant de pathologies psychiatriques aux Comores “pour qu’ils n’aient pas à venir à Mayotte pour être pris en charge”.
Concernant les évacuations sanitaires, deux projets sont à l’étude. Ils concernent l’achat d’un avion sanitaire et d’un hélicoptère dédié. Actuellement, les services d’urgence de Mayotte dépendent intégralement de l’hélicoptère de la gendarmerie, qui donne en théorie la priorité aux missions de la gendarmerie, et pour les evasan, le CHM dépend des vols commerciaux. Ces deux projets pourront, s’ils aboutissent un jour, sérieusement désenclaver l’accès aux soins à Mayotte.
Y.D.