La députée Laetitia Saint Paul menait la mission composée d’Annie Chapelier, Bérangère Poletti et Monica Michel, qui se sont portées volontaires, dans le cadre de la Convention d’entraide judiciaire franco-comorienne.
Pour s’imprégner du contexte régional, elles sont parties avec deux livres en poche, « Tropiques de la violence », et « Anguille sous roche ». « Nous voulions comprendre les origines de la pression migratoire exercée sur Mayotte », explique Laetitia Saint Paul, devant ses pairs de la Commission, où avait été invité exceptionnellement le vice-président du Sénat, Thani Mohamed Soilihi.
Elles expliquent être allées à Grande Comore et à Mohéli, mais pas à Anjouan, secouée à cette date par l’insurrection contre l’évolution constitutionnelle voulue par le président de l’Union, Azali Assoumani, pour se maintenir au pouvoir. Paradoxalement, la seule personne qu’elles n’ont pu rencontrer, est le responsable de l’Agence Française de Développement (AFD) aux Comores.
Plusieurs grandes tendances sont à retenir de leur exposé de 2 heures devant la Commission. A écouter pour la richesse des apports.
« Les Comores déversent la misère et récupèrent l’argent de la diaspora »
D’abord, ce constat relaté par Laetitia Saint Paul qu’ « aucun moyen n’est mis en œuvre pour contrôler l’immigration irrégulière, qui provoque une saturation des services publics à Mayotte, écoles, hôpitaux ». Des chiffres donnent un flux estimés : « Entre 25.000 et 30.000 entrants, pour 18.000 à 20.000 reconduites annuelles. »
Cela s’explique : « Les Comores, le 21ème pays le plus pauvre du monde, ont tout à y gagner : leur diaspora leur reverse l’argent gagné en France, à hauteur de 25% de leur PIB. Les habitants de Grande Comore sont donc peu pressés d’aller travailler pour un salaire moyen de 300 euros par mois, ils font la queue devant la Western Union pour attendre les mandats. Qui permettent à quelques privilégiés d’aller se soigner à l’extérieur de l’île ou d’y scolariser leurs enfants. » Entre 150.000 et 300.000 comoriens vivraient ainsi à l’extérieur de leur pays, « dont 50.000 à 100.000 à Mayotte », et la députée citait l’ancien président des Comores Abdallah Sambi, qui estime que « Marseille est la 5ème île des Comores ». Et aucun des étudiant ne revient dans son pays pour contribuer à son développement.
Amélie Chapelier résume l’état du pays, « les Comores manquent de tout. Nous n’avons pu aller à Anjouan, mais Dominique Voynet y décrit l’hôpital de Mitsamiouli, conçu pour accueillir 600 lits, sans patient, sans médecin, et sans accès à l’eau faute de robinet. La ministre de la santé inscrite dans cet hôpital, a un cabinet privé, à l’instar de ses confrères, pratiquant des tarifs inaccessibles pour les habitants qui embarquent dans des kwassas sanitaires. » Les patients sont « rackettés », estime-t-elle. Faute de se lancer dans une réparation de l’incinérateur de l’hôpital de Moroni, d’un coût avoisinant 300.000 euros, « les déchets hospitaliers sont déversés dans une décharge à ciel ouvert », se scandalise Bérangère Poletti, « alors qu’ils vont refaire le bâtiment de l’Assemblée nationale qui a à peine 10 ans ! » Une assemblée nationale sise “Avenue de la République populaire de Chine », preuve de l’abondant appui de la puissance asiatique.
« On va perdre Mayotte ! »
La corruption qui règne en maître incite à s’interroger sur la conditionnalité de l’aide, « nous apportons 5 millions d’euros par an, mais sans réelle contrepartie ? », s’interrogeait un député. Surtout, est mise en avant une forte mésentente entre l’ambassade de France à Moroni, et l’AFD, « un mur de Berlin », ce qui perturbe la bonne utilisation des fonds. L’aide devrait passer à 150 millions d’euros sur 3 ans, contre un appui des Comores à la lutte contre l’immigration clandestine, ainsi que le prévoit l’accord de novembre.
La présence de pétrole a été évoqué, mais reste fantasmée tant qu’aucun forage n’est pratiqué. « Les réserves seraient abondantes au nord-ouest de Grande Comore, mais positionnées off-shore (en mer, ndlr), ce qui rend l’exploitation couteuse et donc moins rentable qu’espérée », précise Monica Michel. Une découverte qui propulserait le PIB des Comores vers le haut, « mais dans une zone commune aussi à la France par sa Zone économique exclusive ».
Pour Marine Le Pen, aucune concession qui tienne, « il faut de la fermeté envers un gouvernement corrompu qui développe contre nous une hostilité massive. Il faut arrêter totalement l’immigration aux Comores en stoppant tout transfert d’argent sans reconduites effectives et toute aide publique au développement sans condition. On va perdre Mayotte ! », lâche-t-elle.
« Une nouvelle ère »
Invité à prendre la parole en dernier, Thani Mohamed Soilihi rappelait qu’il n’était plus nécessaire de se référer à l’ONU qui ne reconnaît pas Mayotte Française, « ce n’est pas la première fois que l’ONU se tromperait, notre droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un droit positif. »
Il appelait cependant à travailler avec un territoire proche géographiquement, « même s’il ne nous reconnaît pas, et qu’il se complait à déverser sa misère sur notre île. Pour fixer les population dans leur pays. » Il appelait à « casser l’immigration clandestine, le maximum n’a pas encore été fait, même s’il y a un mieux. On ne peut pas dire qu’ils meurent de faim aux Comores, vous l’avez dit, il y a des fruits qui pourrissent sur les arbres. » Il appelait le travail diplomatique à « intensifier son effort pour mettre fin au trafic d’êtres humains ». Il était d’ailleurs applaudi après son intervention.
Si le sénateur se réjouissait d’un constat « sans concession », il espère une suite. En réponse, Marielle de Sarnez, présidente de la Commission, invitait à poursuivre le travail avec les parlementaires mahorais, en proposant à l’exécutif un texte qui pourrait être une feuille de route. « C’est certainement l’ouverture d’une ère nouvelle entre la représentation nationale et le 101ème Département », se réjouissait le sénateur mahorais.
Avoir envie de développer son propre pays, ça reste encore abstrait aux Comores.
Anne Perzo-Lafond
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