Depuis 6h du matin ce jour là, les gendarmes mobiles de la brigade de Sada effectuent des contrôles d’identité auprès des véhicules, le taxi de Balahachi Ousseni ne fait pas exception. Mais alors que l’ambiance semble sereine, tout dégénère.
« On vous accuse de violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique, outrages à personne dépositaire de l’autorité publique et rébellion », rapporte le président de l’audience Daniel Rodriguez, qui égraine les outrages, « connards », « pourriture », « tu vas voir, c’est pas fini entre nous ! »
Tout a commencé par le fameux passeport qui a fini par terre. Contrôlé alors qu’il était assis à l’arrière d’un taxi de 9 places, il ouvre sa fenêtre, « il l’a jeté, et m’a dit ramasse-le tout de suite !, provoquant des rires dans le taxi », témoigne un gendarme à la barre, ce que dément Balahachi Ousseni, « j’ai demandé poliment s’il pouvait le ramasser ». Une simulation de jet de passeport était même proposée à la barre, d’ailleurs, celui que Balahachi avait en main, chute.
Le président s’interroge alors sur les raisons qui font dégénérer ce simple contrôle. Mais pour l’épauler, pas grand chose, puisqu’un seul témoin a été retrouvé, et 24 heures après, qui donne une version proche de celle de Balahachi et sa femme.
Des gilets jaunes dans la gendarmerie
Ensuite, Balahachi explique avoir voulu sortir du véhicule, quand les gendarmes revendiquent l’en avoir extrait de force. Toujours est-il qu’il se retrouve plaqué contre la carrosserie, puis à terre, les menottes péniblement mises grâce à un renfort de deux gendarmes, comme le montre une vidéo sur cette deuxième partie de l’interpellation.
L’adjudant chef qui supervisait cette opération, arrive sur les lieux, n’entend pas les injures de Balahachi, mais témoigne que son gendarme criait « sortez du véhicule monsieur », « et ce dernier, assis à l’arrière l’attrape alors par le col, lui enlevant son gilet jaune, avant d’être plaqué au sol ». La vidéo, prise depuis le portable d’un témoin, montre un gilet jaune pare-terre, « et des traces de coup de pied sont relevées sur le gilet pare-balle », intervenait l’avocat des militaires.
Le président Rodriguez va mener son instruction autour d’une question, l’emploi de la force était-elle proportionnelle au délit reproché : « Vous pensez que cette manière de l’interpeller était indispensable ? » Affirmatif, pour les deux gendarmes présents, « il était entré dans ma ‘zone d’intimité’ ». Après quelques secondes de flottement, l’assistance comprenait qu’il n’y avait là aucune connotation sexuelle, mais juste d’un rapprochement physique « qui pouvait faire craindre un coup de boule de sa part ». Démonstration faite à la barre, la différence de taille entre les deux hommes était malgré tout éloquente, « nous avons parfois à prendre en compte des petits mais très nerveux » se défendait le militaire.
On tire pas la chasse à la gendarmerie
D’autres faits seront reprochés lors de la garde à vue, mais organisée dans des conditions déplorables, « une odeur nauséabonde persistante, la chasse des WC est en panne à la brigade de gendarmerie », rapportera un de ses avocats plus tard.
L’avocat des 4 militaires, Fatih Rahmani, fait valoir des procédures de contrôle de papier habituelles, « où il n’y a jamais de dérapage, pourquoi l’auraient-ils provoqué cette fois ?! » Face aux faits « caractérisés », il demande des peines de 2.000 euros pour le gendarme exposé, et 1.500 euros pour les trois autres.
Le substitut du procureur Rieu reprenait le flambeau du communiqué du procureur Miansoni en rappelant les agressions répétées sur les forces de l’ordre, « dont une tentative d’agression au couteau il y a 3 semaines encore sur un gendarme du GIGN ». Il pointe la personnalité du prévenu, « si c’est monté dans les tours, c’est en raison de son attitude de défiance, il estime que c’est à lui et son collectif que revient le pouvoir ». Il souligne que les gendarmes ne se départissent pas du vouvoiement dans la vidéo, « calmez-vous ! », et rappelle le poids de la parole de gendarmes assermentés, “et qui ne le connaissaient pas”. Il requiert 8 mois de prison avec sursis.
La rébellion des « céistes »
L’avocat du prévenu, Me Soumetui Andjilani, a été spontanément rejoint par 4 autres confrères. Le plus véhément Me Delamour, s’écrira ne « jamais avoir vu une garde à vue aussi longue pour injures », et pour un casier judiciaire vierge. Me Yanis Souhaili lui emboitait le pas, « on a déjà eu affaire à des bavures policières, en quoi Balahachi est-il dangereux ?! » Il réprouve d’être transformé en « céiste », contraction de ‘comparution immédiate’, pour en dénoncer l’abus d’utilisation, « nous aurions pu prendre le temps de rechercher les 6 autres personnes présentes dans le bus. »
Me Nadjim Ahamada commencera par un hommage aux forces de l’ordre, et dressera un parallèle entre leur engagement et celui de Balahachi, sur lequel était revenu le président quelques instants plus tôt, fils d’un infirmier militant, et lui-même infirmier-syndicaliste depuis 30 ans, « et 30 ans d’engagement, de barrages, sans aucune interpellation ».
Soumetui Andjilani fermera le bal avec la volonté de persuader l’audience que « personne ne défie la République ici », et fustigera la détention provisoire demandé mardi par le procureur à l’issue de la garde à vue, « soit disant par crainte de pression sur des témoins, mais quels témoins ? ». Il plaidait la relaxe, mais demandait qu’en cas de condamnation, aucune inscription ne soit mentionnée au casier.
C’est le cas pour les 2 mois de prison avec sursis, auxquels Balahachi est condamné pour rébellion, et 100 euros de dommages et intérêts pour chacun des 4 gendarmes. Il est relaxé pour outrages et pour les violences à personne dépositaire de l’autorité publique. Il était porté en triomphe à la proclamation du délibéré par ses nombreux soutiens.
A.P-L.
Lejournaldemayotte.com
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