C’est peu de dire que le conseil départemental pourrait être rapidement dépassé par le pilotage du Schéma Régional de Développement Économique, d’Innovation et d’Internationalisation (SRDE2I) que lui confie l’Etat dans le cadre de la décentralisation inscrite dans la loi NOTRe (Nouvelle Organisation pour le TerritoirRe).
Nous l’avons souvent écrit dans les colonnes du JDM, décentralisation sans compétence n’est que ruine du territoire. La preuve, les élus se comptaient sur la moitié des doigts d’une main quand le colloque est entré dans le vif du sujet, l’absence du président était notamment remarquée. Dommage, c’est grâce à la qualité des témoignages, que s’emmagasinent les connaissances sur le sujet.
Le président du conseil départemental Soibahadine Ibrahim Ramadani ne s’y est pas trompé d’ailleurs, en appelant dans son discours d’ouverture, à « travailler de façon collégiale ». Il évoquait aussi le « capital humain source de richesse », mais force est de constater que les objectifs en matière de formation, qui doit être un tremplin, ne sont pas au rendez-vous. « Le dernier plan de formation date de 1986 ! », nous glissait un ancien élu.
Heureusement, le président a sollicité le cabinet Mzé Conseil, et c’est un colloque de qualité sur le développement économique de Mayotte, qui était proposé pour cette première journée. Les documents existants ont été compulsés (le programme opérationnel, le Schéma d’Innovation, l’AFD), et un comité technique monté avec les services de l’Etat, la Dieccte, le conseil départemental, la CCI, l’Agence française de développement, l’ADIM : « Un travail institutionnel avant la confrontation avec les acteurs Mahorais lors de ce colloque », expliquait Guillaume Jaouen au JDM. Les organismes ressource seront systématiquement associés, comme la CCI ou l’Etablissement Public Foncier et d’Aménagement.
« Quels moteurs pour décoller ? »
Fraichement arrivé, le préfet et Délégué du gouvernement Dominique Sorain, a cerné les écueils du territoire et les enjeux de ce schéma SRDEII : « La majorité des emplois sont des emplois publics », « la vulnérabilité du secteur productif », moyennant quoi, « la compétitivité du secteur privé est au centre des enjeux sociaux et politiques ». Si le PIB (la richesse produite) de l’île est faible, la commande publique peut tirer l’ensemble vers le haut, selon le représentant de l’Etat, ce que Guillaume Jaouen appuyait en écho, en appelant à « faire de la commande publique un levier de développement local efficace ».
On entre là dans le vif d’un sujet, celui de l’enrichissement facile au détriment de l’intérêt général qui plombe la majorité des projets. Car, comme nous le faisait remarquer Mahamoud Azihary (« Mayotte en Sous-France) », encore faut-il que les sommes investies soient utilisées intelligemment : « Une même portion de route est refaite chaque année avec un mauvais mélange de bitume, dégageant de la valeur ajoutée, sans que cela soit productif. Pourtant, au bout de 5 ans, on va s’enorgueillir d’avoir déboursé des millions ! Tous les secteurs fonctionnent comme ça. »
Ces pratiques sont le fait d’une économie qui n’a pas encore de véritable vision, comme le reprochait Anassi Daniel, de l’Interco Centre Ouest : « On a déjà eu plein d’études, on en a marre ! Nous sommes dans un avion qui va d’un point A à un point B. Cet objectif, il faut le définir, est-ce le modèle martiniquais qui vient d’être exposé ? Et quels sont les moteurs de l’avion ? Probablement l’éducation et la formation. Et quels secteurs économiques privilégier ? Il faut prendre de la hauteur, l’enjeu c’est Mayotte ! » A commencer d’ailleurs par définir qui est le pilote dans l’avion…
Comportements individualistes
Élaborer un schéma global, alors que la micro économie souffre de lourds handicap, notamment l’économie informelle*, ou le tiers de la richesse produit par 10 entreprises, c’est prématuré pour Loutfi Soifaoui, directeur développement chez CréA’ Pépites : « Il faut commencer par structurer la filière de la création d’entreprise à Mayotte. On a une couveuse d’entreprises, mais ni incubateur, ni pépinière. Nous sommes dans un entreprenariat vivrier, de survie. On ne peut pas changer d’échelle sans cet accompagnement, sans outil financier, sans synergie avec les territoires proches. Sur les dix pays du monde en forte croissance, six sont africains, nos voisins. »
Un constat que partage celle qui accompagne les créateurs, la BGE, par la voix de sa directrice Maymounati Ahamadi : « Certains créent leur entreprise par dépits. 95% des entreprises sont très petites, en raison d’un comportement individualiste, ‘moi je crée, et je ne cherche pas de synergie avec d’autres qui permette des économies d’échelle vers une expansion’. Conclusion, on ne produit rien, or le pouvoir c’est l’argent, c’est l’économie qui dirige un pays. »
Besoin de stabilité
L’absence d’investisseurs montrerait que l’attractivité est un problème, mais elle reste en partie fantasmée pour Carla Baltus, présidente du Medef : « Beaucoup de personnes aiment Mayotte et y resteraient avec un bon niveau d’éducation. De plus, d’autres DOM connaissent la délinquance, mais ce dont nous avons besoin, c’est de stabilité… et ce n’est pas un jeu de mots en cette période de séismes ! »
Manque d’attractivité ou mouvements sociaux, « le secteur de la transformation se réduit à vue d’œil », pour Olivier Novou, Directeur de la Laiterie de Mayotte, « nous étions 20 en 2015, nous ne sommes plus que 5 ! » Le secteur des services à la personne par contre ne cachait pas sa satisfaction, « nos collaborateurs ont tous une énergie et une ambition pour leur île », témoignait Chrystel de Bricourt, co-gérante de Dagoni Services.
Une économie très dépendante du secteur public et des importations, ayant cumulé des retards en matière d’internationalisation, d’investissement et d’innovation, cela impose « une politique volontariste que l’Etat entend mener », rapportait Dominique Sorain. Que Dieu l’entende, Inch Allah, car on a vu les limites des actions proposées par Annick Girardin qui manquent d’ambition financières. C’est pourquoi, Mayotte a besoin de ses élus, pour qu’ils « donnent envie » de monter des dossiers de recherche de financement, et fixent un cap général, afin de se spécialiser dans des domaines porteurs. C’est aussi ce qu’on attend des ateliers** de ces deux journées.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
* Le secteur informel joue un rôle déterminant dans l’économie mahoraise : BTP, agriculture, pêche, services à la personne, entretien, gardiennage, etc., 2 entreprises mahoraises sur 3 relèveraient du secteur informel (9% de la Valeur Ajoutée)
** Les ateliers de ce mercredi 6 juin :
– 7h45-9h45 : Atelier n° 1 : Le développement du capital humain et la mobilité (Hémicycle Younoussa Bamana), Atelier n°2 : La création de foncier économique pour les ZAE d’intérêt régional (Salle des Commissions du Conseil départemental), Atelier n°3 : Nourrir Mayotte par l’augmentation de la valeur ajoutée locale (Salle de réunion 2eme étage Maison de l’Entreprise)
– 10h-12h : Atelier n° 4 : L’économie de la Mer (Salle de réunion 2eme étage Maison de l’Entreprise), Atelier n°5 : L’innovation au cœur du développement (Salle des commissions du Conseil départemental), Atelier n°6 : Internationalisation (maritime, aérien et prospection commerciale) (Salle DRH du Conseil départemental)
Le jeudi 7 juin :
– 7h45-9h45 : Atelier n° 7 : Les spécificités mahoraises à valoriser pour un développement solidaire, inclusif et durable (Salle DRH du Conseil départemental), Atelier n°8 : Stratégie de développement de filières avec un impact fort sur la qualité de vie (santé et éducation) (Salle des commissions du Conseil départemental), Atelier n°9 : Structuration des filières à fort potentiel d’emploi (transports, BTP et commerce) (Salle des Assemblées CCI Mayotte)
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