Ils étaient policiers, principal de collège, responsables associatifs, Cadis, Imams ou juste parents. La salle de réception toute neuve du commissariat de Mamoudzou était pleine à craquer dimanche matin, pour discuter prévention de la délinquance. La rencontre a été celle des autorités et de la société civile. Celle de responsables étatiques et de responsables cultuels. Avec parfois des incompréhensions dues aux visions qu’a chacun de la société.
Stéphane Demeusy, numéro 2 du commissariat avait les traits tirés dimanche matin. L’officier de garde sortait d’une nuit marquée par des affrontements à Kawéni, lesquels ont resurgi dans la matinée de dimanche. S’il n’y a “pas eu de blessé”, ces événements ne pouvaient pas faire meilleure préambule à la rencontre avec les Cadis, Imams, et parents présents. “Je ne pense pas qu’on puisse continuer comme ça, expliquait-il de retour d’intervention. Les jeunes que j’ai vus, armés, c’était des mineurs, dehors à 1h du matin. Je n’ai pas vu un seul adulte à part la police. Je ne dis pas que c’est la chronique ordinaire de la violence à Mayotte, mais la police ne pourra pas à elle seule vaincre ces problèmes, elle a besoin de la population” concluait l’officier.
“Tout le monde vit cette insécurité quotidienne, rebondissait Bacar Ali Boto, représentant la municipalité de Mamoudzou. Parmi ces jeunes, certains sont presque abandonnés ou n’ont jamais eu de parents ici, personne ne maîtrise l’arrivée, et l’éducation de ces enfants. Avant les parents étaient les guides, il sont devenus les personnes à guider” estime-t-il, partant du principe qu’avec la technologie, “ce sont les enfants qui ont la maîtrise de ce monde-là”.
“La police est complètement épuisée, le peu d’effectif qu’on a se donne à fond. Quand on est malade et qu’un médicament ne marche pas, on retourne voir le médecin pour avoir une autre ordonnance. Prenons le courage d’essayer autre-chose”.
Mobiliser les habitants
Il était alors 9h50 et la police apprenait que présentement à Bandrajou, une centaine d’habitants avait interpellé un voleur pour le remettre à la police. Un signe du succès des partenariats noués avec la population par le BPP dans ce quartier. Un signe aussi de ce que “autre chose” peut-être.
“Nous devons passer à la phase des propositions” enchaînait alors le Capitaine Chamassi. Parmi ses suggestions : ouvrir le dialogue avec les leaders délinquants. “J’avais pu le faire il y a un an, dans un terrain neutre. Ils étaient une centaine, et dans les jours qui ont suivi, ça a permis de calmer. Ca prouve que le dialogue est important.”
Il propose aussi “la création d’un comité de médiation des sages et de prévention de la délinquance”, un comité “rattaché à une association” qui viendrait en complément des CLSPD (comités de lutte contre la délinquance) organisés par les mairies. L’officier suggère aussi de “mettre en place des réunions de sensibilisation dans les quartiers, notamment pour sensibiliser au dépôt de plainte et à la dénonciation”. Ensuite, il suggérait comme ça a été fait à Kawéni de généraliser la présence dans les quartiers de “référents de parcours” à même de repérer des jeunes avant qu’ils ne glissent vers la délinquance. “Derrière un pseudo, on doit savoir le nom, l’adresse, les parents. Car derrière ce jeune il peut y avoir un drame” poursuivait-il.
Enfin, le capitaine souhaite “réactiver la participation citoyenne et les voisins vigilants. L’idée c’est de responsabiliser les gens des quartiers pour que la police puisse être à l’aise dans ses interventions.”
Aussi, parce que selon les mots du capitaine “ce sont les parents qui enfantent”, le principal du collège de Doujani, plus gros collège de France, estimait que si “les parents sont là et sont intéressés, ils ne savent plus trop comment faire. Les adultes doivent prendre leur place dans la société”.
Sensibiliser les parents
Thierry Lizola, policier en charge du BPP vise lui la loi du silence, l’omerta qui rend possible l’impunité. “C’est le silence qui entretient le phénomène. Si à 10 ans vos enfants vous font peur, c’est dramatique. Il faut libérer la parole, vous ne pouvez plus continuer à avoir peur de vos enfants.”
Concernant le dépôt de plainte, Thierry Lizola rappelle que “l’association (de quartier) peut porter plainte à votre place”, une manière de garantir l’anonymat tout en prévenant la police.
Parler pour deux raisons. D’abord parce que “si on part de rien, l’enquête ne mène à rien”. Parler aussi car “le lien transparental est perdu, et parce que les adultes ne parlent pas, ils restent spectateurs. Mais on a des enfants qui finissent à l’hôpital ou qui s’entretuent.”
Fossé psychologique
Le premier dans le public à prendre la parole fut Boina Dinouraini, père de famille et candidat à l’élection législative de la 1e circonscription.
Il s’en prenait d’abord aux locaux qui les accueillaient. “La police dans des conteneurs, psychologiquement ça ne fait pas bien, ça fait désordre. En deux mois vous avez planté ces conteneurs. Mais pourquoi il n’y en a pas à Doujani ? Déportez-vous dans les quartiers ? Ensuite, pourquoi vous nous demandez de faire de la délation, depuis les années 1940 on a vu les dégâts que ça fait la délation.”
Concernant le rôle des parents, là encore le candidat fustige l’Etat. “L’administration a cassé l’autorité des parents dans les familles. Et aujourd’hui, vous leur dîtes de prendre leurs responsabilités. Mais ce que vous proposez, ce sont des mesurettes. On attend quelque-chose de plus sérieux et audacieux !”.
Au deuxième rang, un autre convive, kofié sur la tête, opposait lui la loi de la République à celle de l’Islam. “Il y a une différence énorme entre la loi musulmane et la loi française. A 15 ans dans l’islam, un enfant est déjà un adulte. Nous si on nous frappe, on frappe” lâchait-il, marquant sa désapprobation de l’ordonnance de 1945 rappelée par Thierry Lizola.
Alors qu’au fond de la salle, des petites voix chuchotaient en faveurs de “lois d’exceptions” pour Mayotte, il apparaissait que les initiatives du bureau prévention et partenariat peinaient à atteindre tout leur public. Si les résultats sur le terrain sont incontestables, et le dialogue, ouvert, il reste au commissariat et aux acteurs civils à bâtir les ponts de la compréhension et de l’adhésion.
Y.D.
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