C’est une strate de plus dans l’épais dossier de la délégation de gestion du port de Longoni. Mais la carte que vient d’abattre le premier comptable du pays est de taille : loin d’être un joker, c’est un atout de plus pour ceux qui préconise la mise en place à Mayotte d’un Grand port maritime, « comme c’est le cas dans tous les autres départements d’outre-mer », avait argumenté Nicolas Sarkozy en guise de promesse de campagne en 2016 lors des dernières élections présidentielles.
Il n’était pas le seul à pencher vers cette solution qu’avançait le leader de la CGT Ma Salim Nahouda depuis 2013, année d’octroi de la Délégation de Service Public (DSP) à Ida Nel, présidente de Mayotte Channel Gateway (MCG), et qui s’interrogeait avec la CFDT, «sous quelle emprise étaient les élus du Département au moment de signer cette DSP ?! »…
L’Union maritime de Mayotte et le Medef appelaient également à ce statut où l’Etat reprendrait la main. Autant de prises de position qui font écho à l’avis de la Chambre régionale des Comptes, sollicité en 2013 par le préfet Witkowski, et qui faisait état « de nombreuses réserves quant à l’aptitude du délégataire à mener simultanément tous les chantiers annoncés tout en mettant en exergue un certain nombre d’irrégularités dans le processus de sélection ».
Le coût des grues et portiques en cause
Jusqu’à présent, l’Etat ne s’est manifesté qu’en envoyant des missions qui n’ont pu aboutir à des solutions satisfaisantes, n’apportant aucune réelle expertise. Le compte rendu de la dernière est toujours attendu. Cette frilosité vient à nouveau de se matérialiser par la réponse de Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics au 1er président de la Cour des Comptes.
Didier Migaud adressait le 16 octobre dernier un courrier à trois ministres, Elisabeth Borne, chargée des transports, Annick Girardin, aux Outre-mer, et donc Gérald Darmanin, pour les mettre en garde : « La Cour souhaite attirer votre attention sur l’intérêt de doter le port de Longoni d’un statut permettant à l’Etat de participer à sa gouvernance. Celui de grand port maritime de Guyane, de Guadeloupe, de Martinique et de La Réunion pourrait être un modèle après analyse des conséquences juridiques et financières ».
Pour en arriver à cette conclusion, le 1er comptable de France s’appuie sur plusieurs constats : celui d’un port qui joue « un rôle névralgique dans l’approvisionnement de l’île dont l’économie est dépendante des importations », et qui tient « une position favorable dans le canal du Mozambique; il offre un des meilleurs tirants d’eau de la sous –région », d’un côté, et de l’autre, une gestion qui a amené le délégataire MCG à faire « l’acquisition de grues mobiles et de portiques motorisés (…) à un coût supérieur à celui prévu. Bien que les comptes prévisionnels de la délégation de service public ne le prévoyaient pas, les droits de port et les redevances d’occupation du domaine public en ont été augmentés. Le calcul de la redevance versée au département et les tarifs d’usage des outillages publics font également l’objet de désaccords. »
« Trop lourd, trop cher »
Les critiques s’étalent sur 3 pages. A ce constat qui souligne les difficultés pour le tribunal administratif à trancher sur des sujets complexes, se rajoute le fait que l’Etat est absent du conseil portuaire, alors qu’il « demeure propriétaire des infrastructures », les formalités nécessaires au transfert « n’ayant pas été achevées », souligne le courrier.
« Trop cher », rétorque en substance le ministre du Budget, Gérald Darmanin, dans sa réponse du 29 décembre (Lire Référé-P17-489-port-Longoni-rep-MACP) : « L’examen des possibilités de résiliation de la délégation de service public met en évidence les difficultés qui s’ensuivraient, tant en termes financiers qu’organisationnels, la recherche d’un accord amiable avec le délégataire pour qu’il abandonne cette délégation paraissant sans issue. Cet examen conduit, en particulier, à douter de la capacité du délégant (le département) à assumer la charge financière qui en résulterait pour lui. »
D’autre part, et sans se prononcer sur une éventuelle participation de l’Etat au conseil portuaire, le chef du même ministère qui a octroyé la défiscalisation à Ida Nel pour ses investissements, explique que « la mise en place de nouvelles dispositions statutaires, aux termes desquelles l’Etat jouerait un rôle important dans la gouvernance du port, est une voie qu’on ne peut éluder mais qui nécessite des évolutions législatives lourdes, au calendrier peu compatible avec les urgences qu’a soulignées la Cour. »
C’est une nouvelle fois une position d’assise entre deux chaises que préconise le gouvernement en proposant la nomination d’un médiateur pour faciliter le dialogue entre le département et MCG, son délégataire.
Anne Perzo-Lafond
jdm2021.alter6.com
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