Un règlement de compte entre professeurs a ouvert la boîte de Pandore. Le procès qui se tenait mercredi au tribunal de Mamoudzou était en apparence banal. Un enseignant qui poursuit son ancienne principale adjointe pour “dénonciation calomnieuse”. Ce sont les faits qui étaient visés dans cette procédure, et seulement ça. Difficile pourtant de ne pas s’intéresser au fond de l’histoire, car il est des plus inquiétants.
En avril 2016, des élèves du collège de Doujani, quatre jeunes filles, font part à une de leurs profs d’attouchements de la part d’un autre enseignant. La confidente relate ces accusations à la principale adjointe, qui en réfère au principal, qui demande à son adjointe de convoquer les quatre élèves, et de recueillir leur témoignage. Ceci étant fait, le chef d’établissement transmet le tout au vice-rectorat. C’est la voie hiérarchique, mais ce n’est pas légal, on y reviendra.
L’enseignant est dans un premier temps suspendu à titre conservatoire, puis réintégré. La vice rectrice lui écrit que “après enquête administrative et faute de plainte, il n’y a pas d’élément tangible permettant d’accréditer ces accusations”. Le professeur reprend ses fonctions. Il tente alors de recueillir des témoignages d’élèves en sa faveur, allant jusqu’à débarquer au milieu du cours d’un collègue pour interpeller les élèves, ce qui lui faut un avertissement. L’histoire aurait pu en rester là, et le témoignage des élèves, passer à côté de la justice. En effet, s’il n’y a pas eu de plainte, c’est que personne au sein de l’Education nationale n’a jugé bon de prévenir la justice de ces accusations, traitées et enterrées en interne.
Mais, touché dans son honneur, le professeur incriminé puis réintégré décide de poursuivre la principale adjointe pour dénonciation calomnieuse devant le tribunal. Et là, les magistrats ont fait des bonds.
“La justice est là pour juger les infractions” rappelle le président Banizette, qui ne comprend pas que des accusations aussi graves se soient limitées à une “enquête administrative” du vice-rectorat.
A quand une enquête judiciaire sur ces accusations d’attouchements ?
“A partir du moment où le vice-rectorat nous dit ‘on prend la main’, on a interdiction d’enquête au sein de l’établissement se défend le principal, Jean-Michel Baudoin, entendu comme témoin. Je pensais sincèrement à ce moment-là qu’une procédure pénale serait engagée. J’aurais pu saisir le procureur, mais je pensais que le vice-rectorat le ferait.”
“Comprenez ma surprise, intervient le procureur Rieu, quand un élève est trouvé en possession de bangué ou d’un couteau, le parquet n’est-il pas systématiquement avisé ?”
Dans son réquisitoire, le représentant du ministère public étrille l’administration enseignante dans son ensemble. “Dans cette affaire, personne n’a fait ce qu’il fallait”. Il rappelle que selon la loi, tout agent qui prend connaissance de tels faits, c’est à dire la première enseignante à avoir entendu les élèves, mais aussi chacun de ses supérieurs avisés ensuite, est tenu “d’en aviser le procureur sans délai”. “Recueillir le témoignage d’enfants, c’est un métier, celui des policiers ou des gendarmes”, poursuit-il. Puis s’adressant au plaignant : “Monsieur se trompe de cible, il n’y a pas de raison d’instrumentaliser la justice pour laver le linge sale de l’Education nationale. Les enseignants sont des justiciables pénibles, car ils ont l’habitude d’avoir raison. Ce dossier a mal commencé et il a mal terminé” conclut-il.
Dans cette histoire de dénonciation calomnieuse aux allures de règlement de compte entre anciens collègues, le tribunal a prononcé la relaxe de l’ancienne adjointe, et a condamné le plaignant à lui rembourser ses frais de justice. Lui qui demandait 10 000€ doit en verser 2000. L’adjointe relaxée avait fait l’aller-retour avec la métropole pour l’audience. Tous deux ont depuis changé d’établissement.
Quant au plaignant, blanchi des accusations d’attouchements par le vice-rectorat, mais dans le dos de la justice, “votre intégrité n’est pas mise en cause devant ce tribunal” lui a rappelé le président Banizette. Toutefois “les faits n’étant pas prescrits, le procureur peut encore s’en saisir”.
En cherchant à mettre en cause celle qui a fait remonter les témoignages des élèves, il a attiré l’attention de la machine judiciaire sur des accusations qui, passées sous silence, risquent désormais d’éclabousser jusqu’au sommet de la hiérarchie.
Yohann DELEU
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