Le Journal de Mayotte : Votre parcours oscille entre le service des Finances publiques et des postes d’encadrement au sein de la collectivité départementale…
Ali Soula : « Je travaille en effet actuellement au Service des impôts des entreprises du 2ème arrondissement de Paris qui gère près d’un milliard de collecte d’impôts divers par année. Mais auparavant, j’avais exercé comme contrôleur de gestion au Conseil général de Mayotte de 2007 à 2010, où je suis revenu en 2011 comme directeur général adjoint en charge de l’économie et du développement durable. Puis j’ai réintégré mon administration d’origine, à la DRFiP de Mayotte comme chef de service en charge du secteur public local et des affaires économiques. J’ai pu participer à cette occasion, à la mise en place de la réforme fiscale à Mayotte, et aux différentes réflexions qui ont été menées, préalablement à l’écriture des programmes opérationnels des fonds européens structurels. A la suite d’une promotion, je me suis installé dans le 2ème arrondissement de Paris depuis le mois de janvier 2016. »
Justement, comment améliorer notre consommation du Contrat de Plan Etat Région (CPER) et des fonds européens ?
Ali Soula : « Mayotte n’a jamais bénéficié d’un contexte aussi favorable. En additionnant les crédits inscrits dans le Contrat de projet Etat-Région (CPER), les Crédits prévus dans le cadre des Programmes Opérationnels des Fonds européens et les fonds de tiroirs, nous atteignons une enveloppe de prés d’un milliard d’euros sur la période 2016-2020.
Nous ne devons pas nous abriter derrière nos déficits, qui nous empêcheraient d’avoir la trésorerie nécessaire au préfinancement des opérations et prétendre in-fine, à la consommation de ces crédits. Pour les projets portés par les collectivités locales, nous devons, bien contraire être inventifs et trouver, en partenariat avec l’Etat, un mécanisme de préfinancement, qui pourrait prendre plusieurs formes comme des avances de trésorerie par l’Etat, recours à l’emprunt auprès des institutions bancaires de l’Etat tels que la Caisse des Dépôts et Consignations ou l’AFD.
On pourrait imaginer la mise en place d’un contrat de gouvernance dont les modalités pratiques seraient à définir avec l’Etat. A ce titre, je voudrais rappeler que lors la présidence de M. Douchina, une convention de restructuration, signée entre l’Etat et le département, avait permis à ce dernier de bénéficier d’un emprunt de 22 M€, malgré une situation financière difficile. Le plan de relance mis en place par l’Etat, avait permis d’augmenter le taux de consommation des crédits inscrits dans le contrat de projet 2008 – 2014.
Mais nous sommes déjà en sous-consommation de fonds européens…
Ali Soula : «Nous sommes en sous consommation, parce que d’une part, c’est la toute première fois que nous avons la gestion de tels fonds et d’autre part, les acteurs chargés de la gestion et de l’utilisation de ces fonds n’ont pas été suffisamment formés.
Par ailleurs, dans un contexte de contrainte financière, les services qui doivent participer à l’effort de redressement des finances publiques, voient leurs moyens en baisse constante depuis de nombreuses années. Or, le département dispose de cadres compétents, qui ont démontré un certain savoir-faire dans la gestion des différents FED. Ces agents pourraient être affectés à la cellule Europe, pour soulager ce service.
Quand j’étais à Mayotte, j’ai plaidé pour que l’Etat et les collectivités locales mahoraises s’inspirent de l’AGILE, une plate-forme mise en place à la Réunion, pour la gestion des fonds européens et qui fait de notre voisin le champion de la consommation de ces fonds. Enfin, nous pourrions faire appel à l’expertise de spécialistes de la gestion de ces fonds pour nous accompagner. C’est vital pour nous de consommer le maximum. »
Le budget du conseil départemental se redresse lentement sous l’effet des engagements de Manuel Valls. Est-ce suffisant ?
Ali Soula : « L’Association des Maires de Mayotte et le conseil départemental ont fait un travail formidable en amont de la rencontre entre les élus mahorais et le premier ministre du 26 avril. Des mesures fortes ont été actées à cette occasion.
Je voudrais juste ajouter qu’au-delà d’une gestion des finances perfectibles, les finances des collectivités locales mahoraises sont structurellement déficitaires, en raison notamment d’un sous-dimentionnement des dotations versées à ces collectivités et de la mise en place de certaines réformes qui ne sont pas toujours financées. Cette situation s’est produite en 2008, à l’occasion de la mise en place du Fonds Intercommunal de Péréquation, dont la vocation était de permettre aux communes de disposer de ressources nécessaires à l’exercice de leur compétence. Il a donc été prélevé, du budget du département, 20 % de ces ressources, ce qui représentait une charge nouvelle moyenne de 40 M€ par année, sans aucune compensation. »
La fiscalité confiscatoire est dénoncée par beaucoup de collectif d’habitants, assassinés par les impôts foncier.
Comment y remédier ?
Ali Soula : « L’assiette des impôts locaux est constitués, pour l’essentiel, des valeur locatives, c’est-à-dire, l’équivalent du montant de loyer que percevrait un bailleur lors qu’il met en location son bien immobilier. Ces valeurs locatives ont été calculées, pour la métropole, en 1970. A Mayotte, elles ont été fixées en 2012, avec des montants très au-dessus des valeurs locatives constatées au niveau national.
Pour neutraliser les effets négatifs de ces valeurs locatives, les taux moyens des impôts mahorais ont été fixé à niveau très en deçà des taux moyens constatés au niveau national. En 2015, arrivent les avis de la Chambre régionale des Comptes qui demandent aux communes dont les budgets présentaient un déficit, de se conformer à la règle de l’équilibre réel de leur budget. C’est ainsi qu’il s’en est suivi une forte augmentation de la pression fiscale, pour certains contribuables.
Je voudrais juste rappeler que l’impôt est un prélèvement obligatoire, opéré sur la richesse produite par les agents économiques. Or, compte tenu du faible niveau de développement de notre territoire, au PIB de 8.000 euros par année et par habitant, l’essentiel de la pression fiscale pèse sur une toute petite partie de la population. » Pour moi, l’augmentation des impôts est la conséquence directe de l’insuffisance des dotations versées aux collectivités locales mahoraises.
Il faut donc que l’État augmente la dotation au niveau des autres DOM, mais aussi que l’octroi de mer arrive dans leur caisse, dès que la question sera tranchée par le conseil constitutionnel ?
Ali Soula : «D’après les arbitrages en cours et dans le prolongement des orientations annoncées par le Premier Ministre, à l’occasion de cette rencontre avec les élus mahorais, les communes devraient percevoir l’intégralité de l’octroi de mer, la dotation globale de fonctionnement qui leur est versée devrait progressivement être alignée au niveau de celle des autres DOM.
Nous n’arrivons pas à attirer d’investisseurs notamment en raison des blocages fonciers. Y a-t-il des leviers à activer en dehors des préconisations de la mission sénatoriale ?
Ali Soula : « Dommage, car nous territoire dispose d’atouts exceptionnels. Mayotte est un joyau, qui n’a rien à envier à nos compatriotes antillais, polynésiens ou calédoniens … Mais au-delà de la violence, qui constitue un véritable handicap pour le tourisme, c’est surtout l’absence d’une véritable volonté qui empêche le décollage de cette activité.
Je vais prendre un exemple. Quand nous avons choisi les sites PADD pour y implanter des hôtels, un porteur de projet qui avait été sélectionné, pour implanter sur une plage située dans le sud, un complexe hôtelier qui devait générer 80 emplois, dans un terrain appartenant à l’Etat et au département. Ce projet n’a jamais vu le jour car un occupant coutumier en avait décidé ainsi. »
La délinquance est un autre frein…
Ali Soula : « Cet été, la presse nationale et locale a beaucoup parlé de Mayotte, en des termes souvent désagréable après les événements d’avril. Mais de cette crise, je retiens un élément positif : pour la première fois, on a parlé de Mayotte sur le territoire national, les pouvoirs publics ont pris conscience de nos difficultés. Cette crise a fait fuir beaucoup de personnes mais je reste persuadé qu’ils vont revenir.
J’ai une certitude : Mayotte va se développer parce qu’elle en a le potentiel et parce qu’elle est devenue un département français et un territoire européen. A nous, Mahorais, de mettre le « bleu de travail » pour construire l’avenir de nos enfants.
Quelles ambitions avez-vous en terme d’infrastructures ?
Ali Soula : «J’entends souvent parler de la construction d’un pont, qui relierait la petite et la grande terre. Un tel investissement ne semble correspondre à la spécificité de notre territoire et au schéma du développement touristique que nous avons mis en place. Ce projet risquerait par ailleurs de transposer en petite terre, les difficultés de circulation que nous connaissons dans la zone de Mamoudzou. Enfin, si un tel investissements devait se mettre en place, il conforterait la situation actuelle où la quasi-totalité du bassin d’emploi se trouve dans la zone de Mamoudzou. Il faudrait donc réfléchir à un moyen de déplacement alternatif qui serait le transport par téléphérique.
Mais pour permettre le désengorgement de la zone de Mamoudzou, il faudrait mettre à la disposition des usagers, la possibilité de pouvoir faire leur courses en dehors de la capitale en installant des grandes zones d’activités commerciales à Dembéni au sud, à Combani au centre, et à Dzoumogne, pour le Nord. C’est un projet structurant, qui permettrait un nouvel aménagement de notre territoire et un rééquilibrage des bassins d’emplois dans le territoire. »
Nous sommes à un moment particulier de notre histoire car après avoir bâti la départementalisation, après avoir intégré les RUP, après avoir mis place en l’essentiel des outils de planification et avec les moyens financiers notre disposition, tout est prêt pour le développement de notre île »
Le Journal de Mayotte
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