Voilà une information qui va nourrir le débat public actuel. Surtout, celui qui porte sur l’augmentation des taux d’octroi de mer. C’est la 1ère fois que l’INSEE mène une telle étude sur Mayotte. Et pas la dernière…
L’enquête porte sur les chiffres d’affaires 2013 de 1.121 entreprises de 1 à 499 salariés du secteur marchand à Mayotte. Il s’agit d’entreprises connues des services fiscaux. Premier renseignement, avec 400 millions de valeur ajoutée, les entreprises mahoraises dégagent 4 points de richesse en plus que leurs homologues de métropole. « On peut donc dire qu’elles dépassent les problèmes liés à l’éloignement géographique ou à l’insularité », remarque Jamel Mekkaoui, directeur de l’antenne de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) de Mayotte.
Le premier moteur de cette production de richesse est le commerce, comme ailleurs en France, mais davantage à Mayotte que dans les autres départements français (27% de la valeur ajoutée contre 24%). Il arrive juste devant la construction, « qui pèse deux fois plus ici que dans le reste de l’économie française », souligne l’économiste, qui peut l’expliquer par le rattrapage en infrastructures d’un territoire en plein développement.
Le secteur du transport compte également davantage dans l’économie Mahoraise que dans les autres départements français, « essentiellement en raison de la place du fret maritime. » L’industrie est en revanche peu développée, « caractéristique de la plupart des économies insulaires. »
Fortes marges dans le commerce et la construction
Avec la valeur ajoutée, l’entreprise va payer ses salariés, et dégager ensuite sa marge, comptablement appelée Excédent brut d’exploitation. Et là, surprise, les marges des entreprises mahoraise sont deux fois plus grandes qu’en France : 43% contre 21%. Elles peuvent s’expliquer par des charges sociales moins élevées (7% de la valeur ajoutée contre 23% ailleurs en France), ainsi que par des exonérations de charges patronales pour les salariés au SMIG.
C’est dans le secteur du commerce qu’elles sont les plus élevées : 25% contre 14% en métropole.
Et lorsqu’on prend le taux de marge (la différence entre le prix de vente et le prix d’achat, rapporté au prix d’achat), soit donc le gain pour l’entreprise, on voit que la construction s’en sort avec un taux de 43,6% à Mayotte, contre 13,7 ailleurs en France… Voilà qui va donner du grain à moudre au conseil départemental dans son rapport de force avec le BTP sur les taux d’octroi de mer.
Investissement massif dans les télécom
Un capital qu’elles peuvent choisir de réinvestir. C’est le cas, mais avec une grosse nuance : « Les entreprises investissent davantage qu’en métropole, 25% contre 15%, mais rapporté à leurs fortes marges, l’investissement y est plus faible. » On peut donc penser que le solde est destiné à sa propre rémunération. Mais il faut aussi prendre en compte la rémunération du risque à Mayotte : comment rentabiliser son investissement dans un moyen de production, si l’activité de l’île est régulièrement plombée par des mouvements sociaux ?
Deux secteurs sont en pointe en matière d’investissement : les communications, par les opérateurs téléphoniques avec l’arrivée du haut débit et l’essor considérable des dépenses en téléphones portables, « 77% des mahorais de plus de 12 ans en ont un », et les transports, « essentiellement lié à l’investissement de 45 millions d’euros dans la construction de la nouvelle aérogare de Pamandzi. »
A côté par contre, ça n’investit pas beaucoup, et c’est la morosité qui domine en hébergement-restauration, « plombés par un secteur touristique atone ».
Cerner le secteur informel
Ce qui incite à nourrir quelques inquiétude, puisque, hormis ces deux secteurs, l’investissement est faible : « Lorsqu’on aura rattrapé la plupart du retard en équipements structurants, ces deux secteurs des communications et du transport, resteront-ils les moteurs de l’investissement ? » On peut craindre que non si Mayotte ne se donne pas des leviers de croissance au moyen de politiques publiques efficaces.
Cette enquête, l’INSEE va l’annualiser, « pour connaître l’évolution de la structure des entreprises, étant donné que peu donnent une liasse fiscale pour l’instant. » Et même mieux, l’Institut économique va s’amuser à cerner le secteur informel : « Une enquête démarre aujourd’hui sur ce sujet, en adaptant le questionnaire au 416 entreprises interrogées ce mois de février. »
Ses 12 enquêteurs vont donc démarcher individuellement les vendeurs, en interrogeant sur le nombre de sacs ou de produits vendus par jour, « nous leur ferons ainsi leur comptabilité ».
Ce qui devrait permettre à Jamel Mekkaoui de satisfaire à son ambition de « mesurer l’activité économique de ce secteur, avec des résultats livrés en 2017, et de Mayotte dans sa globalité. »
Une enquête qui devrait faire des vagues, et pas uniquement en évoquant l’octroi de mer…
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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