Le pôle santé publique du CHM organisait une journée de séminaire ce vendredi dans l’hémicycle Younoussa Bamana, nous y reviendrons. Le centre d’addictologie présentait son travail, l’occasion pour le Dr Ali Mohamed Youssouf de dire son inquiétude sur les effets de la «chimique», immédiat et bien plus long terme.
Le docteur Ali Mohamed Youssouf s’occupe des «maladies du plaisir», comme il les appellent. Au centre d’addictologie du CHM, il suit depuis longtemps les patients concernés par toutes les formes d’accoutumances pathologiques, tabac et alcool en tête, mais aussi jeux vidéo, sexe ou internet. Alors qu’il présentait son travail ce vendredi devant les professionnels de santé réunis par le CHM pour un séminaire, il a consacré l’essentiel de sa présentation à la «chimique», en renouvelant son appel vers La Réunion et la métropole : «Aidez-nous à identifier ces produits !», a-t-il lancé.
Plus de 500 personnes sont suivies par le centre d’addictologie du CHM et «depuis 2013, la ‘chimique’ prend une place toujours plus importante», explique le Dr Youssouf au point de devenir actuellement la 3e cause de consultation dans le service.
«Je vous montre un verre avec un liquide à l’intérieur. Je ne sais pas ce que c’est et pourtant des personnes vont le boire. C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons avec la chimique. Depuis qu’elle est apparue à Mayotte fin 2010, on ne sait pas identifier les produits», relève le Dr Youssouf.
300 produits différents
Si on parle de «la chimique», il faudrait en réalité parler «des» chimiques car le terme englobe environ 300 produits différents dont de nombreux types de cannabis synthétiques très difficilement détectables et qui ne sont pas rangé dans la liste des stupéfiants par la loi. «Ca se présente sous forme de poudre mélangée avec des herbes. On peut l’acheter sur internet avec sa carte bleue et se faire livrer chez soi», se désole le docteur Youssouf.
Finalement, la meilleure façon d’identifier cette drogue, c’est observer les effets de ce cannabis synthétique apparu aux USA au début des années 2000 avant qu’il n’arrive en Israël où il est appelé la «drogue du soldat». Comme le cannabis, la chimique interagit au niveau du cerveau sur différents récepteurs.
Pour une majorité de personnes, l’effet produit est de l’ordre du plaisir, de l’apaisement, un sentiment de bien-être tel que certains peuvent renoncer à tout… «y compris à leur femme», note le docteur Youssouf. «Ces effets de satisfaction sont plus importants que ceux fournis par le cannabis et durent bien plus longtemps. De 2 à 10 heures pour le cannabis, parfois plus de 24 heures pour la chimique», précise Ali Mohamed Youssouf.
Des expériences de violence
Pourtant, ce «bonheur» peut toucher rapidement ses limites. Car pour les patients qui arrivent à l’hôpital, l’expérience a pris une autre tournure : tremblements, troubles cardio-vasculaires pouvant aller jusqu’à l’arrêt cardiaque ou encore phénomène de zombi avec une perte de la mémoire immédiate. «Avec le cannabis, on n’a pas de phénomène d’agressivité, au contraire, beaucoup de jeunes s’endorment. La chimique provoque l’effet inverse avec une accélération cardiaque et des comportements de nervosité». Le nombre d’affaires instruites actuellement par le tribunal de Mamoudzou pour des faits d’hyper-violence liée à la chimique est en effet impressionnant.
«La chimique est un produit bien plus addictogène que le cannabis. Même s’il est difficile à détecter, il est bien plus puissant», précise le Dr Youssouf qui se retrouve sans aucune thérapeutique pour faire face. Avec ses équipes, il est contraint de traiter les symptômes.
Un problème de santé publique pour longtemps
«On est face à un problème de santé publique qui ne fait que commencer», prévient-il. Car les effets à plus longs termes de cette drogue commencent à peine à être étudiés aux Etats-Unis. Il est encore trop tôt pour dresser une liste de cancers et autres pathologies liées à la «chimique» mais les premiers travaux ne laisseraient aucun doute sur son caractère particulièrement nocif.
Reste donc au docteur Youssouf et aux équipes du centre d’addictologie du CHM à convaincre les patients, le plus souvent envoyés par la justice, que le bien-être provoqué par la chimique n’est pas qu’une simple illusion. Il est surtout un poison qui les tue à petit feu.
RR
Le Journal de Mayotte
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